vendredi 6 avril 2018

Un vulgaire indigène de la république

« Il ne faut pas que les acteurs de l'IA 
soient tous des mâles blancs quadragénaires 
formés dans les universités européennes ou américaines. »
(Emmanuel Macron, 29 mars 2018)

C'est le torchon réactionnaire Causeur qui relevait récemment cette perle symptomatique du macronisme, pour s'en étrangler de rage. On comprend les salariés dudit torchon : suivant le conformisme de leur perspective nationale abstraite - sous couvert d'insolence - et leur approche classiquement parcellaire de la réalité sociale, ils ne retiendront de cette sortie fort bottom-up que son aspect ethnique, aussitôt par eux isolément fantasmé et hypostasié : jugé seul décisif. 
Notre point de vue est différent. Il est avant tout soucieux de saisir la cohérence moderniste systématique, la solidarité organique de cette conception du monde bourgeoise contemporaine dont Emmanuel Macron est le représentant, il est vrai caricatural. Bref, notre point de vue s'intéresse à la totalité idéologique libérale dont cette conception procède. Pour le dire simplement : un monde où les capitalistes, la pollution massive, la violence, les dominations, la bêtise, le malheur et la frustration s'épanouiraient dans la diversité de genre ou de « race » la plus complètement achevée, nous paraîtrait tout aussi dégoûtant que le monde actuel. Que la soi-disant Intelligence Artificielle, par exemple, c'est-à-dire la soumission programmée de l'intelligence humaine à ses extrapolation et aliénation strictement calculatrices et quantitatives, triomphe un beau matin sous pavillon « racisé », féministe queer ou plutôt hétéropatriarcal blanc nous indiffère totalement. De même nous indiffère le fait qu'un blockbuster hollywoodien mette en valeur des héros et héroïnes davantage noirEs ou blancs que jaunes s'il s'agit, chaque fois, de défendre les mêmes éternelles valeurs de hiérarchie sociale, familiale ou politique. Ici ou là, Hollywood reste, Hollywood berne. Et l'on pourrait, bien entendu, multiplier les cas de figure, à l'infini, ce dont le mouvement réel de l'histoire a, hélas ! commencé de se charger. Nous arrivons ainsi à ce point critique où « l'intersectionnalité », se donnant pourtant comme forme d'attention suprême à la condition des êtres humains réels et singuliers, soumis à des dominations concrètes qu'il leur arrive de refuser, en est venue à constituer, de manière tout-à-fait assumée et consciente chez les propriétaires du monde, le paradigme épistémologique abstrait, indépassable, d'un pouvoir lui-même conçu comme indépassable. À l'antipode d'une telle prophétie auto-réalisatrice, nous ne nous lasserons jamais (et même nous nous amusons) de croire que seule compte vraiment, si l'on prétend à la compréhension minimale d'une société donnée, la structure de classe dont celle-ci relève invariablement. Et que les questions de fond la concernant ne sauraient se présenter autrement que sous les formes suivantes : qui y travaille, comment et pour qui ? Qui y détruit, un peu plus tous les jours, au gré de décisions irrationnelles, les possibilités d'une vie humaine épanouie ? À l'inverse, qui y défend celles-ci, qui y lutte effectivement ? Et enfin, accessoirement : quels types d'idéologies, ontologiquement axées sur les notions de diversité, de différence, d'un parcellaire ou d'un non-identique reconnu socialement suffisant, y auront pour fonction historique de diluer la radicalité d'ensemble des interrogations précédentes, pour assurer en dernière analyse, de manière optimale et ripolinée, la reproduction du même système social ? Ceci ayant été dit et rappelé, il est, à notre humble avis, trop tard. L'idéologie en question, quelle que soit sa modalité lambda, a beaucoup trop largement essaimé dans les esprits, y compris chez les mieux dotés, les plus sincèrement disposés, les plus spontanément rebelles et capables, les plus jeunes. Nous prenons donc le parti théorique pessimiste d'attendre (activement) l'épuisement de ce mauvais cycle intellectuel : un cycle gros, malheureusement, des catastrophes politiques réelles qui lui correspondent. Nous prenons, comme disait Pierre Dac, le parti d'en rire, avec nos amis, plutôt que les patins de certain parti imaginaire, à la nocivité indubitable. 

2 commentaires:

  1. À la décharge de Causeur (qui pue effectivement la poubelle), ce n'est pas uniquement "l'aspect ethnique" qui les retient eux non plus mais bien l'ensemble de la multiversité. Rappelez-vous leur comportement pendant la polémique récente"liberté d'importuniste" ou même plus en arrière le mariage-pour-tous. Les réacs eux aussi ont leur vision d'ensemble. Et Micron leur pose aussi un problème bien que sous une autre forme.

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  2. Pas un problème, en vérité : un pôle opposé et complémentaire, en regard duquel se définir (et se rassurer). Chaque "vision d'ensemble" peut ainsi, évidemment, toute réifiée soit-elle, se donner pour totalité : on appelle cela une conception du monde (fasciste-organique, souverainiste-républicaine, identitaire de manière générale). Elle n'en a pour autant rien à voir avec la totalité véritable, dont l'élément est le temps historique et le trait distinctif épistémologique, chez qui la pense : la conscience de la mortalité, du passage, de l'obsolescence nécessaire de TOUT.

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