jeudi 30 novembre 2017

Fossoyeurs du Vieux Monde (Brixton, 1981)

       
 Je t'en foutrais, moi, de l'émeute « raciale »...
            
« Les partisans d'un compromis avec l'État constituèrent le 13 avril à Brixton un "Comité de défense" afin de prendre de vitesse ceux qui voulaient poursuivre l'attaque. Lors de l'assemblée du 13, quelques chefaillons qui s'étaient improvisés eux-mêmes "leaders de la communauté noire" mirent aux voix la question de décider si ce comité devait être de composition exclusivement noire ou multiraciale : la majorité des gens présents s'abstint de voter sur ce qu'elle jugea une fausse question. Les réformistes réussirent à obtenir tout de même une faible majorité en faveur d'un comité seulement noir. Cette manoeuvre n'allait pas empêcher les jeunes (noirs comme blancs) de relancer l'émeute dans les rues de Brixton - il n'y eut que 50 flics blessés cette fois-là. Et la chaleur des belles émeutes du 11 au 13 enflamma d'autres quartiers de Londres. Le 22, à Finsbury Park, l'affluence inhabituelle de jeunes dans un Luna Park inquiète les autorités qui le font fermer deux heures plus tôt que prévu : l'insatisfaction déjà vive dans de tels endroits explose dans la rue. La police est attaquée, les magasins pillés et les bus incendiés. Le 30 avril, pendant un meeting raciste, la police est encore attaquée par des groupes noirs/blancs/asiatiques qui de loin dépassent les mots d'ordre des rackets politiques, limités à la défensive anti-raciste.

Le racisme n'est qu'une petite défense caractéristique du Vieux Monde qui panique. La bourgeoisie n'a jamais encouragé le racisme tant qu'elle avait besoin d'exploiter des immigrés ; elle l'a toujours encouragé quand elle n'en avait plus besoin, et surtout avec la nouvelle génération d'immigrés qui elle n'a par avance aucune envie de travailler. Les premières générations de travailleurs immigrés avaient supporté les servitudes les plus extrêmes du travail salarié : leurs rejetons refusent d'emblée le sort qui les attend. Ils sont anti-travail et commencent à le dire. Tout sentiment de nationalité est effacé chez eux ; comme les jeunes immigrés jamaïcains qui vivent très tôt à la rue parce qu'ils ne supportent plus leurs familles et la morale qui y sévit, et qui firent les émeutes de Brixton : ceux-là crachent sur les rastas, ces curés non-violents de la nation africaine, et ils se moquent bien des rackets politiques qui ont voulu limiter ce conflit social à un conflit racial. (...) Là-bas comme ici, il n'existe pas plus de "communauté" noire que de "communauté blanche" ou de "communauté maghrébine", mais une communauté humaine qui se forme dans l'émeute (...)

La vérité des émeutes de Brixton s'est totalement révélée 2 mois plus tard. Le 4 juillet 81, à Toxteth, un quartier à population également blanche et noire proche du centre ville de Liverpool, un contrôle policier, un de trop, a déclenché deux nuits d'affrontements. Quand les renforts de police sont arrivés, l'émeute battait son plein. Ils furent pris en embuscade et durent se replier sous une pluie de pierres, de barres de fer et de cocktails. Les 800 flics engagés n'ont pu momentanément reprendre l'avantage qu'après 7 heures de combat et au prix de 200 blessés chez eux. Pendant toute la nuit, les magasins furent mis au pillage ; des groupes déambulaient les bras chargés de matos électro-ménager, de caisses d'alcools, de bouffe, de fringues, de chaussures et même de rouleaux de moquette. Ce qui n'a pu être emporté a été brûlé : un magasin de tapisserie fut ainsi incendié, et donna le signal de départ des incendies. Les émeutiers, dont les plus jeunes avaient dix ans, mirent le feu à un club privé pour les rupins de Liverpool. Un cinéma voisin fut à son tour incendié ; après quoi un groupe pénétra dans une succursale de la National-Westminster-Bank, à laquelle ils mirent le feu non sans avoir raflé quelques milliers de livres sterling dans la caisse ; une autre banque située en face fut aussi incendiée. Pendant ces réjouissances, plus bas, sur Parliament Street, d'autres émeutiers pénétraient dans un dépôt de laiterie et s'amusaient aux auto-tamponneuses avec les camionnettes de livraison qu'ils expédièrent ensuite sur la ligne des flics. Une entreprise de fournitures électriques fut incendiée ; une agence de location de voitures et une station de taxi furent pillées - les véhicules servirent à emporter le butin des pillages, ou à être lancés sur les flics (...)

Des gens de tout âge ont participé aux pillages ; la population qui n'était pas dans la rue encourageant des fenêtres les combattants aux cris de :

"TUEZ LES PORCS BATARDS"

Les responsables religieux qui essayèrent d'appeler au calme furent naturellement lapidés. »

(Les Fossoyeurs du Vieux Monde n°4, Mai 1983)







Enfance d'un chef

(«siège-pénis», métro de Mexico, 2017)

« Ma mère partageait les préjugés de son milieu. Jugeant que le sexe d'un homme était laid, ou au moins dénué de toute beauté, elle me fit longtemps douter de l'attrait de ce qu'elle appelait ma "quéquette".
Il est vrai qu'une "quéquette" est plus ridicule que charmante. Ce mince tuyau au bout pincé, qui tremblotte au-dessus de deux petites boules de chair à la peau grenue, affadit le plus bel Apollon. Mais une verge en érection n'a rien de commun avec cet appendice infantile : pour la trouver belle, il suffit de la regarder.
Je ne compris l'erreur de ma mère, et la mienne, qu'un jour de mes 18 ans. Sortant d'une douche chaude, et traversant l'appartement dans l'état de nature, je fus subitement arrêté devant l'armoire à glace par l'image que j'y entrevis : je bandais, et cette corne de chair se balançant au bas de mon ventre me frappa par sa beauté.
Pourquoi disait-on que c'était laid ? Je pris des poses devant la glace, examinant l'objet sous tous les angles, relançant son balancement d'une pichenette, essayant de le faire se gonfler plus encore, ou de l'amener à la verticale. Plus le jeu se poursuivait, plus le jouet me plaisait, et lorsque je mis fin à ce divertissement, j'étais guéri de mes préjugés sur la laideur du membre masculin.
Je souffrais d'un autre préjugé, tout aussi commun que le premier, et dû sans doute aux mêmes causes : le corps féminin était beau. »

(Guillaume Fabert, Autoportrait en érection)

Anormalement Naze


lundi 27 novembre 2017

« Revolutionnary love»


« L’appel des Indigènes dit : “ Merde.” Il propose de repartir sur des bases saines. […] Prenez-le : le discours ne vous plaît pas … mais prenez-le quand même ! […] Là, on ne cherche plus à vous plaire ; vous le prenez tel quel et on se bat ensemble, sur nos bases à nous ; et si vous ne le prenez pas, demain, la société tout entière devra assumer pleinement le racisme anti-Blanc. Et ce sera toi, ce seront tes enfants qui subiront ça. Celui qui n'aura rien à se reprocher devra quand même assumer toute son histoire depuis 1830. N'importe quel Blanc, le plus antiraciste des antiracistes, le moins paternaliste des paternalistes, le plus sympa des sympas, devra subir comme les autres. Parce que, lorsqu'il n'y a plus de politique, il n'y a plus de détail, il n'y a plus que la haine. Et qui paiera pour tous ? Ce sera n'importe lequel, n'importe laquelle d'entre vous. C'est pour cela que c'est grave et que c'est dangereux ; si vous voulez sauver vos peaux, c'est maintenant. Les Indigènes de la République, c'est un projet pour vous ; cette société que vous aimez tant, sauvez-là… maintenant ! Bientôt il sera trop tard : les Blancs ne pourront plus entrer dans un quartier comme c'est déjà le cas des organisations de gauche. Ils devront faire leurs preuves et seront toujours suspects de paternalisme. Aujourd'hui, il y a encore des gens comme nous qui vous parlons encore. Mais demain, il n'est pas dit que la génération qui suit acceptera la présence des Blancs. »

(Houria Bouteldja, entretien avec Christine Delphy, in Nouvelles Questions Féministes - sic -, juin 2005).

Nous rappelons que Mme Houria Bouteldja est publiée aux éditions de La Fabrique, Paris.

Éthique de la discussion

dimanche 26 novembre 2017

L'anti-surréaliste

La voilà, ducon, ta «guerre véritable» : 
gestion scientiste d'un existant indépassable, 
ou mise au jour d'un trésor caché ?
Crève, la structure...


« La démarche de Roussel, avec toutes ses implications philosophiques, était-elle véritablement originale ? Or on ne peut éviter de la rapprocher d'autres tentatives qui, apparemment, sont allées dans la même direction, en éveillant des intérêts voisins. De l'une de celle-ci, celle de Freud et de sa théorie du lapsus, Foucault n'avait même pas fait état dans son livre : mais c'est parce qu'il lui suffisait, pour en donner, indirectement, une évaluation, de la situer dans le prolongement d'une autre, celle de Breton et des surréalistes, qu'il a soumise à une critique catégorique.
Freud avait porté un extrême intérêt aux phénomènes aberrants du langage, dont la considération ne cesse de revenir aussi bien dans L'interprétation des rêves que dans la Psychopathologie de la vie quotidienne ou dans Le mot d'esprit dans son rapport à l'inconscient : il les a traités comme des défaillances du discours représentatif dont procède la conscience, et il s'est proposé de remonter, à partir de ces cas de dysfonctionnement, jusqu'à l'autre discours de l'inconscient, auquel la conscience n'a accès que par ses lacunes et par ses manques. Le présupposé de cette analyse, c'était celui d'un contenu latent, c'est-à-dire d'un sens à la fois refoulé, déplacé et travesti. Et le but vers lequel elle tendait était de "libérer" ce sens, en levant l'interdit qui pèse sur son expression et sa communication. Selon la perspective même d'une interprétation, les mots "doivent" parler d'autre chose : mais ils ne le font pas suivant une détermination ontologique, d'après laquelle ils auraient constitutionnellement à parler d'autre chose, comme si c'était la fonction même des mots de parler d'autre chose, et aussi comme si c'était la nature des choses d'être toujours autres, perpétuellement à côté de ce qu'on dit ; mais s'ils parlent d'autre chose, c'est, ce doit être, parce que les choses dont ils parlent ont été circonstanciellement retenues ou altérées. Et ainsi il devrait suffire de remettre les choses à leur place, c'est-à-dire de leur restituer leur identité, pour que tout rentre dans l'ordre. Même si Freud a raisonné de manière infiniment plus complexe, il reste que l'esprit de la psychanalyse, tel qu'il s'est dégagé d'une lecture plus ou moins pertinente de ses textes, renvoie communément à ces schèmes de l'interdit et de la libération dans lesquels Foucault n'a jamais accepté de se reconnaître.
Au début de l'histoire du surréalisme, A. Breton s'est appuyé sur cette référence freudienne pour donner une base théorique à ses propres démarches. Et lorsque l'oeuvre de Roussel a éveillé son intérêt, ou plutôt, comme il l'a lui-même dit, l'a "émerveillé", ce fut précisément dans le sens suggéré par cette référence qu'il l'a interprétée, en exploitant un schéma formellement analogue à celui de la libération : les nouvelles pratiques du langage, comme celle de l'automatisme, levant les contrôles imposés à son usage par la raison consciente, étaient censées ouvrir la voie conduisant à un monde merveilleux et occulte, celui de l'imagination et du rêve, comme l'avait exposé en 1924 le premier Manifeste du surréalisme. Aux yeux du fondateur du surréalisme, Roussel s'était donc présenté comme un initiateur, un guide, parce que, prenant à contre-pied l'usage normal du langage, il avait du même coup conduit ses lecteurs vers l'univers magique d'une "surréalité", en suscitant par exemple les extraordinaires visions des Impressions d'Afrique ou de Locus Solus.
Mais quelque chose chez Roussel faisait manifestement obstacle à ce type d'interprétation : c'était le fait que sa démarche était tout à l'opposé de celle d'un rêveur, même éveillé. Si sa tentative avait fait place à des automatismes, ils s'agissait d'automatismes dirigés, s'appuyant sur la découverte, qu'on peut dire scientifique, de certains mécanismes propres au langage : de ce point de vue, cette tentative s'apparentait davantage à celle de Saussure, qui ne pouvait intéresser Breton en raison de son apparent formalisme, qu'à celle de Freud. Ainsi, loin d'être la révélation inopinée et inspirée, selon les procédures du "hasard objectif", d'un autre monde, où régnaient les merveilles, l'invention de Roussel avait permis à celui-ci, et c'était beaucoup plus important, d'élaborer de nouvelles pratiques du langage, et ceci avec une conception extrêmement rigide et concertée du travail littéraire, incompatible avec les incertaines aventures d'une investigation libre (...). »

(Pierre Macherey, Foucault lecteur de Roussel, la littérature comme philosophie)

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Note du Moine Bleu : 

Althussérien sans failles, structuraliste servile, Pierre Macherey présente par là-même un intérêt : celui d'exposer sans fard, avec passion, l'idéologie de ses maîtres. Le fond anti-psychanalytique et contre-révolutionnaire d'un Foucault n'apparaît peut-être ainsi nulle part aussi clairement que dans le texte ci-dessus. On pardonnera donc à Macherey sa grossière approche générale de Freud, au reste assumée par lui (voir la fin de son deuxième paragraphe). Précisons seulement que la psychanalyse correctement comprise peut justement se définir comme une anti-herméneutique, visant à dissocier ce qui, dans le travail du rêve, en particulier, se donnait à l'inverse comme uni et homogène. Le nom même de psychanalyse (l'analyse étant, à rebours de la synthèse, ce qui dé-compose, ce qui restitue la vérité morcelée d'une pseudo-unité) le dit assez bien. D'où l'importance anti-idéologique du travail freudien, lequel suscite donc moins d'autre monde (comme ici prétendu) qu'il ne révèle en attendant, du monde bourgeois, les illusions et mensonges. Bref. On lira avec avantage, sur tout cela, le très pertinent article de Laplanche, La psychanalyse comme anti-herméneutique (Cerisy, 1994) 



jeudi 23 novembre 2017

En toute logique

Profite, profite...

« Au demeurant, l'idée d'avenir s'est toujours associée dans mon esprit avec la vision d'un pan de ciel largement découpé, et de ciel on n'en voit plus chez nous, pas même le dimanche. Parfois - oubli ou réflexe - il m'arrive encore de lever la tête, comme s'il suffisait du seul regard pour redécouvrir, par-delà mille étages de ciment, le lieu unique où bien des voyageurs ont cherché leur route ; mais la Cité n'arrêtant pas de pousser en flèche et de se barder de paratonnerres, le ciel a pris tant de hauteur que, pour en apercevoir un coin, il faut se coucher à plat dos sur le trottoir et attendre l'inspiration. Bien sot, du reste, celui qui trouverait à y redire, alors que bon nombre de cinémas et d'églises ont leurs voûtes célestes fort réussies et qu'au point de vue de la défense nationale moins on a de ciel, moins on s'expose aux attaques aériennes»

(Jean Malaquais, Le gaffeur)

Des races sociales


Au Maghreb, 
la persistance d’un racisme anti-Noirs

(Le Monde, 23 novembre 2017, 
transmis aux Editions de la Fabrique)



mercredi 22 novembre 2017

Cinquante piges de Société du Spectacle


« Le mode commun de l'exposition situationniste est la dénonciation, une dénonciation globale, qui atteint, indifféremment, tous les domaines, de l'économique au culturel et qui, sans s'embarrasser ni de concepts ni d'informations, constate, révèle l'aliénation sans cesse aggravée de l'humanité contemporaine. Guy Debord s'en prend au spectacle ; c'est là sa référence empirique. La filiation feuerbachienne – à travers les œuvres du jeune Marx – est évidente. La société bourgeoise – et son rejeton socialiste –, poursuivant l'entreprise millénaire d'oppression et de répression et la portant à son plus haut niveau de vérité, a séparé l'homme de son essence. Aujourd'hui, pour mieux celer la pauvreté de son opération, elle la fait basculer dans le spectacle. Tout est spectaculaire : ce livre même que vous lisez, ces lignes que je vous propose sont marqués d'un vice profond : ils participent à ce monde... Il va de soi que de semblables énoncés découragent d'avance toute critique. Ils l'écartent, d'entrée de jeu, puisqu'ils tiennent pour évident que toute contestation de ce qu'ils disent émane d'une pensée sottement tributaire du "pouvoir" et du "spectacle". Ils présentent une dénonciation qui est à prendre dans son entier ou à laisser complètement, qui ne supporte pas même le commentaire, sinon répétitif. Nous sommes en présence de livres, de bibles. Rien à dire, sinon "Lisez !" Le procédé naïvement terroriste est tellement ancien que le premier sentiment, face à des ouvrages semblables, est de les exclure purement et simplement, de laisser l'absolu point de vue où ils se placent dans l'absolu, précisément, dans le non-relatif, dans le non-relaté.  »

(François Châtelet, Le Nouvel Observateur, 3 janvier 1968)





Spéciale dédicace aux gendarmes de France (qui font un bouleau magnifique)

Horreur !



« Le PDG ⦗de UBER⦘ a révélé mardi que les données de 57 millions d’utilisateurs à travers le monde ont été dérobées à la fin 2016. Parmi les 57 millions d’utilisateurs figurent 600 000 chauffeurs dont les noms et numéros de permis de conduire ont été piratés. Les noms des utilisateurs ainsi que leurs adresses électroniques et numéros de téléphone mobile ont également été subtilisés, a indiqué Dara Khosrowshahi dans un communiqué. ».

(Le Parisien, 22/11/2017)


mardi 21 novembre 2017

Gauches de la gauche

Les ateliers « en non-mixité raciale » 
du syndicat SUD-éducation 93 créent la polémique

(Le Monde, 21 novembre 2017)

lundi 20 novembre 2017

vendredi 17 novembre 2017

Rakka (suite)


Il y a deux façons d'interpréter ce qui s'est passé à la fin du mois d'octobre à Rakka, à savoir le deal passé entre les kurdes staliniens des FDS et les derniers combattants acculés de DAECH, deal dont la BBC a récemment révélé les modalités (voir la vidéo ci-dessus). Première réaction possible : un sentiment (déjà ressenti, tant de fois) de trahison, doublé de haine, devant ces images de centaines de soudards de l'EI quittant, avec leurs armes lourdes, la ville en ruines, pour - selon les informations fournies ici par certains témoins - s'en aller massacrer, de dépit et de rage, le plus de personnes possibles en Europe, notamment en France. Deuxième réaction, annulant la première : pourquoi donc les Kurdes seraient-ils éternellement voués au rôle de tirailleurs sacrifiés de l'Europe libérale ? Les kurdes sont comme nous : ils veulent que les djihadistes disparaissent, ils les veulent soit morts soit loin, très loin, définitivement extirpés et chassés. Selon une expression gauchiste stéréotypée bien connue, ils les veulent juste hors de leurs vies. Pourquoi, alors, au juste, iraient-ils pour cela crever jusqu'au dernier, jusqu'à la dernière, pour des Macron, des Merkel et les électeurs de ceux-ci, ne leur promettant, une fois cette bataille éventuellement gagnée dans le sang et la souffrance, aucune sécurité, aucune protection, aucune garantie, ni statutaire ni politique ni matérielle, face, par exemple, aux fascistes russo-baasistes ou aux islamo-fascistes turcs ? En sorte que les kurdes, pris en tenaille, semblent avoir en l'espèce fait preuve de stratégie, dans un contexte nihiliste de "coalition internationale" évacuant précisément toute stratégie, au profit d'une simple excitation bombardière dont nous avions, voilà peu, tenté de cerner les motivations, ou plutôt l'absurdité complète. Il n'est, au reste, pas exclu que toutes ces révélations autour du sombre deal politico-militaire de Rakka relèvent aussi d'un "chantier" turc, Erdogan préparant ces jours-ci bruyamment l'opinion publique mondiale à un très prochain déferlement de carnages au sein des métropoles d'Europe, histoire de peser encore (autant qu'il le peut, par ailleurs, via son ignoble chantage continuel au déferlement de migrants). Quoi qu'il en soit, les kurdes ont vaincu les islamistes. Ils ont réussi. Sans illusion aucune, en tentant de manoeuvrer au mieux, au jour le jour, et au moins pire. Ils tiennent à la vie, comme les barbares qu'ils combattent vénèrent la mort. Leur force, pour reprendre certain axiome schmittien célèbre, aura ainsi été d'identifier - au cours de chaque engagement crucial de ce grand jeu se livrant sous nos yeux - l'ennemi principal. Nous serions bien inspirés d'en faire autant.    

Dire non à l’armée en Israël.

(ouvrage disponible depuis le 2 novembre 2017)

Présentation des éditions Libertalia : 

« Ils s’appellent Tamar, Yaron ou Gal, ils sont étudiants, agriculteurs, postiers, anciens officiers ou parlementaires. Ils vivent à Tel Aviv ou à Jérusalem, ils ont 20, 40 ou 60 ans. Entre 2007 et 2017, le photographe Martin Barzilai a rencontré à plusieurs reprises une cinquantaine de ces Israéliens dits "refuzniks", qui refusent, pour des raisons politiques ou morales, de servir une société militarisée à l’extrême où le passage par l’armée est constitutif de la citoyenneté. En filigrane, ces refuzniks racontent toute l’histoire d’Israël, ses failles et ses contradictions, son caractère pluriel. Et dressent le portrait d’une société où tout devra être repensé pour construire un futur moins sombre. »

jeudi 16 novembre 2017

Mes séances de lutte

Tendons l'oreille, Edwy Plenel parle de nous !

De droite à gauche : Le prophète et le prolétariat (CLICK !)

« (...) une gauche égarée, une gauche qui ne sait plus où elle est, alliée à une droite voire à une extrême droite identitaire, trouve n'importe quel prétexte, n'importe quelle calomnie pour en revenir à leur obsession : la guerre aux musulmans, la diabolisation de tout ce qui concerne l'islam et les musulmans.»

(Edwy Plenel, France-info, 8 novembre 2017).

lundi 13 novembre 2017

samedi 11 novembre 2017

Romantisme (1958)

Démocratisme radical (3) : Dewey par Honneth, suite et fin

« Comment tuer ce qui n'est pas vivant » 
(trailer français du film Christine, de John Carpenter)
Pas vivant, ou du moins : pas encore...

Suite et fin de notre réflexion sur les conceptions démocratistes-radicales de Axel Honneth, en lien avec sa perception singulière de l'oeuvre de John Dewey, telle qu'exposée dans son article canonique "La démocratie comme coopération réflexive", ici par nous commenté. Promis, on enchaîne très vite sur d'autres trucs plus sexys. Mais il fallait régler ça.


Rappel : Le texte original allemand (Demokratie als reflexive Kooperation. John Dewey und die Demokratietheorie der Gegenwart) est disponible, notamment, dans le recueil intitulé Das Recht der Republik (Frankfurt, Suhrkamp, 37–65.) Une traduction française en a été proposée par la revue Mouvements n°6 (aux éditions de la Découverte). Cette traduction est ardue à dénicher. Nous nous en tiendrons, nous, pour nos notes et indications de pages, à la version anglaise (revisitée le cas échéant par nos soins), parue dans Political Theory (volume 26, n°6, décembre 1998, p. 763-783). Cette version est la plus facilement et gratuitement trouvable sur le net, d'où notre choix démocratique.

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La démocratie comme rupture et condition épistémologique.
Sitôt les “faiblesses” téléologiques du jeune Dewey écartées, à compter de la seconde partie du deuxième chapitre de son étude, Honneth définit son apport potentiellement essentiel à la théorie démocratique contemporaine, au moyen d'un rappel des instruments épistémologiques dont il se sera servi pour établir ses propres convictions. Dewey considère que la démocratie ne saurait être à proprement l'objet d'une science politique positive dont les limites se trouveraient fixées une fois pour toutes, mais dépend plutôt d'une certaine capacité scientifique pratique liée à la nature humaine elle-même, entendue comme comportement (Human nature and conduct[1] mobilisant sans discontinuité chez l'homme, du biologique au politique en passant par le psychologique, un complexe de dispositions plastiques et d'instincts plus éprouvés (à l'efficacité sensori-motrice établie), alors cristallisés en habitudes. Honneth repère dans cette théorie toute l'importance accordée à la notion de “reconnaissance”, de “lutte pour la reconnaissance” [2] si capitale dans sa propre théorie. Chez l'homme, depuis une masse informe d'instincts disponibles dès le départ existentiel de l'individu, seuls se hisseront au statut d'habitudes opératoires, d'habitudes d'action, ceux de ces instincts dont l'utilité aura été sanctionnée par un groupe d'appartenance, lequel développe donc, vis-à-vis de l'individu, certaines attentes auxquelles ce dernier s'efforcera de satisfaire, la qualité de son épanouissement – par la reconnaissance – étant ainsi inséparable de l'enrichissement scientifique de la collectivité [3]. L'intelligence de chacun augmentant en proportion exacte de l'intelligence de tous à régler des problèmes, et d'établir à cette fin des protocoles de coopération efficaces, l'extension d'une telle capacité démocratique est donc virtuellement infinie, autant que l'exhaussement de l'intelligence rationnelle (individuelle donc collective), par le biais de méthodes de recherche fonctionnant sur de tels principes démocratiques. Honneth rappelle l'intérêt de Dewey pour les sciences naturelles, surtout la modalité expérimentale dont, de son point de vue pragmatiste, celles-ci progressent toujours, par delà vrai et faux essentialisés (le pragmatisme deweyen incluant de fait une bonne part de faillibilisme, ce dont le texte de Honneth ne rend pas suffisamment compte en son souci très socio-politique). En témoignent sa pratique de la “psychologie” – surtout entendue comme psychologie du développement (pp. 771-772) – et, de manière générale, l'estime dans lequel il tient la “logique de recherche scientifique” : la démocratie, estime Dewey, donne déjà, dans le domaine des sciences, d'excellents résultats. Le niveau intellectuel et cognitif s'y élève dès lors qu'un groupe humain (politique ou pré-politique) se voyant confronté à un problème donné, la liberté la plus ample reste offerte au maximum d'intervenants possibles, issus de ce groupe, d'intervenir sur lui selon les modalités de formulation d'hypothèses les plus variées, dont aucune attitude de domination hiérarchique au plan social, ni essentialiste au plan scientifique, ne doit venir entraver le surgissement continu. Les intervenants, réunis par la résistance particulière que tel problème leur oppose encore se trouvent ainsi liés les uns aux autres par telle conséquence dommageable unique (et directement pratique) les fondant tous comme Public intéressé à la résolution de ce problème : “ Guidé, note Honneth, par l'exemple des recherches expérimentales dans les sciences naturelles, Dewey put rapidement se rendre compte que les chances d'y déboucher sur une solution intelligente des problèmes augmentaient avec la qualité de la coopération entre les chercheurs concernés : plus les participants scientifiques étaient libres d'introduire sans restriction leurs propres hypothèses, croyances ou intuitions, plus l'hypothèse finale s'en trouvait équilibrée, ample et donc intelligente” [4]. Telle est la logique de Dewey, une logique de soumission efficace des fins à leurs meilleurs moyens, leurs moyens les plus adéquats. Que cette logique soit directement celle de la démocratie, et donc clairement la fin de celle-ci, c'est, comme le note Honneth, ce qui distingue Dewey, par exemple, de l'éthicisation - ou l'essentialisation de valeurs - républicaniste d'Arendt. Ce pragmatisme rigoureux de Dewey n'est, cependant, jamais politiquement interrogé en lui-même par Honneth, comme par Horkheimer, et surtout par un Marcuse soumettant - de manière extrêmement polémique - Dewey à cette redoutable difficulté historique, par exemple, d'un fascisme allemand droit émergé de la démocratie parlementaire et susceptible, à s'en tenir au point de vue deweyen pragmatiste (ou "positiviste" comme le dit, d'ailleurs de manière contestable, Marcuse) d'avoir d'une certaine terrible manière, lui aussi, représenté cette adéquation des moyens et des fins, cette capacité à l'appréhension adéquate de conséquences, au règlement de problèmes proprement nouveaux (par - et pour - un certain public) fondant seule la valeur normative d'une institution politique [5]. Quoique la lecture marcusienne puisse apparaître excessive, il n'en reste pas moins que la pure reprise par Honneth de cette thèse deweyenne d'un "choix institutionnel" librement, démocratiquement et constamment renouvelé par le public, pose question. Qui est par exemple ce "nous" en quelque sorte "continu" (comme il y a une continuité de l'État redoutable d'une séquence historique à une autre) évoqué par Honneth dans la phrase suivante : "Suivant le critère de rationalité des décisions passées, nous décidons continuellement, et de nouveau, de comment les institutions d'État doivent être spécifiquement organisées et de comment elles doivent se trouver liées l'une à l'autre suivant leurs juridictions"[6] ? Ici encore, la difficulté vient, selon nous, d'une surpolitisation relative de la pensée de Dewey. C'est seulement, en effet, via son approche proprement expérimentaliste de la démocratie que cette dernière se trouve ensuite (dans un second temps logique, serions nous-tenté de dire) mobilisée par Dewey au service de la résolution de problèmes politiques (parfois, d’ailleurs, impliqués, comme nous le verrons plus loin, par la structure potentiellement anti-démocratique de la modernité même, de cette Great Society industrielle dont la critique par Dewey prendra ainsi souvent une forte coloration pessimiste, kulturkritisch), au point de s'incarner, de manière contingente, dans telle ou telle forme gouvernementale. L'important tient, cependant, pour Honneth et d'autres interprètes (comme Hilary Putnam, par exemple)[7] à cette avance épistémologique conservée par le principe démocratique sur tous les autres : “Dewey aura développé un argument épistémologique proposant de considérer la démocratie comme condition d'amélioration rationnelle des solutions à apporter aux problèmes sociaux”[8], étant rappelé, donc, une fois encore, qu'au-delà de toute institutionnalisation, ce mécanisme démocratique doit demeurer un projet, une perspective, celle d'un épanouissement indéfini des facultés de l’homme. Le statut du Public et ses problèmes – autour duquel Honneth développe la seconde partie de son deuxième chapitre – est donc paradoxal puisque ce livre, qui ne cesse d'insister sur ce dernier point, en bataillant contre les partisans d'une doctrine contractualiste, essentialiste, téléologique (“causale”, dit Dewey) de l'État démocratique, au lieu de considérer celui-ci comme la simple conséquence matérielle - ou efficiente - d'un problème posé à la coopération humaine, est cependant, malgré tout aussi, une réponse de circonstance aux adversaires de la démocratie politique (en la personne de Walter Lippmann, auteur du Public fantôme, l’ouvrage précis ayant provoqué la réplique de Dewey), pour qui ladite démocratie politique promouvrait une très fictive “omnipotence du citoyen”, capacité illusoire d'intervention permanente de tout un chacun sur tous les sujets, face aux experts spécialisés. Or, le problème de la démocratie, pour Dewey répondant à Lippmann, ne saurait justement être la démocratie elle-même : le problème est que le besoin démocratique excédant toujours en quelque sorte sa forme politique, il n'y aura jamais assez de démocratie dans l'État politique. Un décalage subsiste toujours entre le pré-politique, le social et les institutions, mais un décalage ne pouvant entraîner le renvoi a priori d’un Public démocratique nécessairement ignorant (ou la considération froide de son inévitable “éclipse”, selon le terme de Lippmann) au bénéfice d’experts figés, vis-à-vis de lui, dans leur supériorité intellectuelle inamovible. Honneth, qui reviendra là-dessus dans son chapitre final, au moment de confronter Dewey au procéduralisme habermassien, nous paraît ici manquer, dans son ampleur, toute l’influence paradoxale de la critique lippmanienne “de droite”  sur la pensée de Dewey, notamment, justement, en termes de pessimisme culturel et politique. La “négligence” (Wilkinson) ou la “faiblesse” politique originelle (Honneth) de Dewey ne trouverait-elle pas là un point de renforcement ? Pour cette pensée extrêmement perméable aux apports de la psychologie du développement, la forme politique de la démocratie ne serait-elle pas assimilable, en termes freudiens[9], à un processus secondaire, la pensée de Dewey maintenant un lien indéfectible entre l'organique et le psychique, et la coopération humaine procédant d'une foultitude de désirs, liées seulement ensuite par l'association politique ?[10] De sorte que l'État deweyen - tel serait son procéduralisme concret, bien éloigné de la puissance discurso-légitimante habermassienne – protègerait secondairement les libres désirs articulés de l'organisme citoyen, désirs dont la définition première, fondamentale, reposerait sur la reconnaissance sociale du groupe. Ce paradoxe ou cette incertitude deweyenne (entre politique et biologico-social), Honneth semble la transmuer en force (relative) à compter du Public et ses problèmes, livre dans lequel le Dewey de la maturité paraît, en dernière analyse, “affirmer (...) que la démocratie représente la forme politique d'association dans laquelle l'intelligence humaine achève son développement”[11]Honneth reconnaît, en même temps, explicitement, que la notion de “Public” introduite dans ce dernier ouvrage ne constitue qu’une “première réponse, hésitante”[12] à la question d’une jonction possible entre les deux premiers aspects de la pensée démocratique deweyenne : la réalisation individuelle dans le Tout social “organique”, d’une part, et la condition épistémologique de l’échange démocratique, d’autre part. Au moment de confronter Dewey, une fois encore, dans la dernière partie de son texte, au républicanisme et au procéduralisme abstrait, Honneth en souligne, presque paradoxalement, les forces autant que les faiblesses. Cette difficulté, cette indécision, assez nettement perceptible dans son texte, est peut-être due au fait qu’un certain pessimisme critique de Dewey (pessimisme diffus, certes, voire inconscient au regard de son optimisme pratique formel), structure plus fondamentalement son rapport à la démocratie qu’Honneth ne veut bien l’admettre.

Dewey critique de la culture.
Honneth insiste, tout au long de son étude, sur le cadre socio-économique moderne où s’épanouissent les conceptions politiques de Dewey. Ce cadre, c’est pour Honneth la division du travail, au sens durkheimien[13]L’avantage de Dewey sur Arendt ou Habermas consiste en ce que, relativement à la position éthique de la première, Dewey ne peut plus croire à l’unicité de valeur civique qu’elle promeut. Et quant à la seconde, la reconnaissance sociale posée par Dewey au fondement de la légitimité démocratique institutionnelle ne peut non plus s’accommoder d’une inter-subjectivité uniquement validée par la forme démocratico-légale. Le procéduralisme habermassien s’en tient, et se borne, pour reprendre la typologie classique de la reconnaissance établie par Honneth, au deuxième moment de la reconnaissance : la reconnaissance juridique. La démocratie, pour Habermas, se confond avec le Droit. Honneth sait alors gré à Dewey de voir dans la reconnaissance sociale, celle de l’homme au travail, le véritable fondement concret de la légitimité démocratique. La division du travail industriel fondant la modernité entraîne, pour Dewey, l’impuissance du républicanisme éthique en ce que cette modernité promeut désormais une multiplicité, une prolifération de cultures et de valeurs obérant le re-surgissement, le retour d’une telle éthique classique. Mais cette division du travail ruine tout autant, par les conflits qu’elle suscite de toute nécessité, l’espoir d’une assise incontestable d’institutions politiques dont le seul formalisme démocratique discursif – coupé des rapports sociaux réels – néglige l’opération continue dont la société procède : “L’idée, écrit Honneth, d’une sphère publique démocratique repose entièrement sur des présuppositions sociales ne pouvant être elles-mêmes fondées qu’en-dehors de cette idée[14]. C’est l’établissement d’une démocratie sociale du travail, seule, qui fondera pour Dewey l’adhésion générale aux valeurs de légitimité procédurale démocratique[15]. On retrouve ici cette intuition d’une constitution primordiale du pré-politique, réduit chez Habermas au statut d’incubateur discursif de la démocratie [16]Il semble, là-dessus, que la nouvelle supériorité reconnue plus tard par Honneth (en 2011, dans Le Droit de la liberté) à Habermas sur Dewey procédera moins d'un revirement pur et simple vis-à-vis de cette thèse que d'une plus grande pertinence historique et concrète clairement accordée à Habermas [17]. Peut-être faut-il y voir la persistance inébranlable dans l'esprit d'Honneth d'une tendance (d'une "faiblesse") métaphysique obérant chez Dewey la précision et la rigueur contextualisante, ou plutôt institutionnalisante. Chez Dewey, le groupe démocratique précède en effet toujours, en importance substantielle et chronologiquement, l’institution. L’état ou les états (Stände) priment invariablement l’État. C’est la participation démocratique pré-politique à des groupes, l’investissement individuel dans des processus pré-politiques collectifs qui donneront, seuls, l’envie, l’exemple et le besoin de la pratique démocratique institutionnelle, la démocratie se nourrissant toujours d’elle-même. Dewey, le pédagogue organiciste, sanctifie ainsi le désir et la pulsion démocratiques (la force qui pousse, matériellement, à la résolution de problèmes auxquels on est intéressé). Honneth voit parfaitement cette importance sociale du désir[18], de même qu’il distingue bien ce qui oppose Dewey au républicanisme sur-éthicisé : chez lui, l’alliance des groupes, le groupe des groupes respectés dans leur première intégrité “publique”, constitue l’état politique quand l’idéal républicain intègre plutôt les groupes divers à la (re)construction un projet éthique dont le caractère massif, extérieur et unique implique forcément leur désaisissement et leur déchéance politique, en tant que la Loi républicaine ne reconnaît plus – c’est là l’origine, selon elle, de sa légitimité – d’états et d’individus concrets [19]Ce fédéralisme deweyen est explicitement lié – dans Le Public et ses problèmes, par exemple – à l’histoire nord-américaine, à cette civilisation pionnière dont la division du travail contemporaine aura sonné le glas. Telle est l’ambivalence de Dewey relativement au “progrès”, quelque peu négligée par un Honneth tout à son idée d’installer Dewey dans une revendication procédurale moderniste, socialement égalitaire, en face d’Habermas. Or, l’exercice de la démocratie, à l’heure de la Great Society capitaliste, est rendue pour Dewey aussi nécessaire que difficile, pour ne pas dire, par certains côtés, impossible. On pense à la nostalgie du jeune Hegel pour la vie éthique unitaire de l’antiquité grecque. On pense aussi à la division du travail chez Marx, pour qui chacun de ses progrès s’accompagne aussi d’une somme de calamités nouvelles, position dont Dewey ne paraît pas plus éloigné que de la position “neutralement” durkheimienne à laquelle Honneth semble vouloir le river[20]Et si ce dernier note bien la pertinence de sa critique impitoyable du consumérisme, du caractère spectaculaire de la société marchande hypertrophiée, il la rapproche uniquement de celle d’Hannah Arendt[21], alors que la radicalité de Dewey, en l’espèce, l’apparenterait davantage, de notre point de vue, au pessimisme d’un Marcuse, voire d’un Adorno jugeant toujours plus verrouillées les possibilités d’émergence démocratique au sein de la nouvelle société de contrôle de l’industrie culturelle. La critique lippmannienne, on l’a dit déjà, aura ici incontestablement porté. "La condition principale, écrit Dewey, pour qu'émerge un public démocratiquement organisé est un type de connaissance et de perspicacité qui n'existe pas encore [souligné par nous]." Pas encore, ou plus ? Le capitalisme moderne exerce universellement une telle puissance d’éloignement et de dissolution sur les acquis de l’ancien commun, que cette puissance complique la naissance nouvelle d’un public simplement désireux de prendre conscience de lui-même comme les publics l’ayant précédé, et de traiter, encore et toujours, comme eux, les conséquences fâcheuses de processus complexes (désormais enclenchés, cependant, tellement au-dessus de sa tête, et sur le cours desquels ce nouveau public conserve une maîtrise toujours amoindrie). Si la démocratie, c’est avant tout, pour Dewey, l’autonomie, et surtout l’autonomie pré-politique, l’intelligence théorique-pratique supposée par celle-ci en vient forcément là à se heurter, dans ses prétentions de croissance, au lourd blizzard crétinisant du capitalisme impersonnel. Honneth, qui clôt son étude sur un retour à notre propre situation contemporaine, examinant les opportunités d’analyse théorique que Dewey pourrait y permettre d’appliquer, a ainsi la clairvoyance de noter que dans le cadre contemporain d’une société de chômage de masse, une “simple restructuration du marché capitaliste” ne saurait remplacer la perspective, plus lointaine, d’un nouveau modèle de “contribution coopérative”. Ce modèle, néanmoins, Honneth se garde bien d’en spécifier les contours et les modalités inter-subjectives précises, quoique il en évoque la nécessité d’une “redéfinition radicale” à l’aide même, et à l’aune, des travaux – précieux – de John Dewey. Façon d’admettre implicitement, peut-être, que c'est, en somme et avant toute chose, l’espoir irréductible, touchant au règlement nécessaire, objectif, “automatique” de ses propres problèmes “insolubles” (ou : chaque fois inintelligibles suivant nos propres grilles de lecture anciennes et dépassées) par chaque société successive, que Dewey nous, en sa qualité d’“organiciste hégélien” (toujours “ jeune ”) nous aura légué ?




Notes

[1] Titre d'un ouvrage de Dewey, publié en 1922.
[2] Voir par exemple Honneth, op. cit., pp. 772 et 779.
[3] “ Les êtres humains ne peuvent développer en habitudes stabilisées que les aptitudes et besoins d'action ayant rencontré l'approbation et l'estime de leur groupe particulier de référence.” (Honneth, op. cit. p. 772).
[4] Honneth, op. cit., p. 772.
[5] Dans son texte le plus critique, Marcuse insiste, en particulier, sur la dimension inconsciente de l'engagement du Public, susceptible chez lui de dissocier "connaissance des conditions et conséquences" et "production de nouvelles normes valides", couple dont l'unité épistémologique renvoie, chez Dewey, à la valuation continue, en l'espèce celle de l'institution étatique, c'est-à-dire le fait que ce dernier, sitôt légitimé, doive toujours se voir recontesté, redéfini à l'aune de situations toujours nouvelles, à réestimer en permanence, les anciennes normes étant par principe rapidement dépassées, en décalage vis-à-vis de nouvelles formes de problèmes à résoudre. Dans le cas, étudié par Marcuse, du fascisme allemand, la simple coïncidence réactualisée des fins et des moyens pose souci. Dewey postule en effet qu'une telle réévaluation normative constante des institutions implique une extension indéfinie de la liberté du Public, toujours plus consciente d'elle-même, et concerne nécessairement une masse numérique toujours plus importante. En sorte que ne ferait bientôt plus opposition à ce désir libertaire cognitif massif de réévaluation qu'un "petit groupe" parasitaire, une "classe spéciale" résiduelle attachée à son pouvoir, et dont l'autoritarisme à rebours consituerait précisément, selon Dewey, le contraire historiquement paradigmatique - et bientôt condamné - d'un tel désir démocratique. Or, selon Marcuse, "l'optimisme de Dewey est ici caractérisé par la négligence des contextes existentiels dans lesquels évoluent les désirs et intérêts autoritaires. L'ordre maintenant les privilèges exclusifs d'un "petit groupe ou d'une classe spéciale" [selon l'expression de Dewey dans son ouvrage La formation des valeurs] répond [sous le fascisme] à des désirs humains profondément enracinés, des désirs dépassant de très loin la seule strate dirigeante. Le désir de forte protection, l'appétence perverse pour la cruauté, la joie d'exercer son pouvoir sur un ennemi impuissant, la libération du fardeau que représente l'autonomie, et quantité d'autres désirs de même sorte ayant façonné l'individu au cours de la préhistoire du fascisme, se sont trouvés satisfaits par ce dernier à un point tel qu'en comparaison, désirer alors la liberté serait presque revenu à désirer quelque saut suicidaire dans le néant" (Marcuse, revue de La formation des valeurs de Dewey, in Zeitschrift für Sozialforschung 9, N°1, 1941, pp. 144-148). En d'autres termes, l'exercice le plus large de la démocratie n'entraîne un surcroît automatique ni de conscience ni de liberté. Au critère deweyen de simple vérification et de redéfinition scientifique constante des normes, soi-disant suffisant mais que Marcuse présente comme "positiviste", ce dernier persiste malgré tout à opposer in fine une liberté fondatrice de type kantien, seul " fait " qui ne "soit " que dans sa création même, et ne puisse être vérifié que dans son exercice " (ibid.). Dans Le Public et ses problèmes, cependant, les passages sont nombreux où Dewey reconnaît lui-même l'influence importante - et nuisible - des facteurs inconscients et irrationnels sur le processus d'auto-définition du Public (voir, en particulier, son chapitre 5 : La recherche de la grande communauté). Dans leur avant-propos à l'édition française de La formation des valeurs, Alexandra Bidet, Louis Quéré et Gérôme Truc notent cette franche hostilité de Marcuse et de la "première génération" de l'école de Francfort à l'égard du "positivisme" deweyen, en opposant celle-ci, par contraste, à l'intérêt d'Habermas et Honneth. Cette affirmation serait à relativiser, notamment au regard de l'admiration personnelle qu'Adorno semble avoir éprouvé pour Dewey (voir La formation des valeurs, La Découverte, 2011, p. 53). Pour ce qui concerne Marcuse, précisons que sa critique acerbe s'est aussi exercée sur la Logique de Dewey (cf Review of Dewey's Logic : The Theory of Inquiry, in Zeitschrift für Sozialforschung 8, 1939-40, pp. 221-28).
[6] Honneth, op. cit., p. 778.
[7] Putnam, A reconsideration of deweyan democracy, in Renewing Philosophy, Harvard University Press, 1992, en particulier p. 182 : “Dewey pense d’abord à nous en termes de capacité intellectuelle à initier l’action, à échanger (talk) et à expérimenter. Sa justification n’est pas seulement une justification sociale – en ce que celle-ci serait adressée à un NOUS plutôt qu’à chacun des MOI – elle est aussi (...) une justification épistémologique.” 
[8] Honneth, op. cit., p. 773.
[9] Un passage du Public et ses problèmes évoque fortement une forme de sublimation socialisante, un résultat collectif - sans répression chez Dewey - de cette dynamique du désir  : "un désir et un choix de la part d'individus en faveur d'activités qui, par le moyen de symboles, sont communicables et partageables par tous ceux qui sont concernés. Une communauté présente donc un ordre d'énergies transformé en l'une des significations qui sont appréciées en commun et mutuellement transmises par ceux qui se livrent à une activité conjointe. La "force" n'est pas éliminée mais son usage et son but sont transformés par les idées et les sentiments que les symboles ont rendus possibles." (op. cit., chap. 5, p. 249 de la trad. française). On voit ici à quel point l'usage démocratique que Dewey fait - sans doute - des intuitions freudiennes diffère de l'instrumentalisation de la psychanalyse effectuée par ses adversaires " démocrates-réalistes " stigmatisant à cette époque l'ignorance et l'incompétence nécessaire de citoyens soi-disant soumis, en démocratie, à leurs pulsions individualistes débilitantes.
[10] Un aspect sensiblement éludé de la pensée de Dewey dans le texte de Honneth est justement celui de son pédagogisme. Or, Dewey s’est d’abord fait connaître dans l’histoire des idées comme pédagogue antiautoritaire, hostile à toute discipline de travail instituant très tôt chez les enfants une frontière inamovible entre l’intérêt profond et l’effort (à appliquer sur des problèmes abstraits, purement extérieurs, considérés en eux-mêmes comme un mauvais moment à passer). Il ne s’agit pas non plus, pour Dewey, de défendre, symétriquement, une logique d’enseignement spectaculairement intéressante, qui chercherait artificiellement à capter l’attention de l’élève, à l’amuser, etc. Il faut simplement que l’enfant trouve son intérêt, et engage ainsi ses propres efforts vers la résolution de problèmes devenant désormais les siens. Son concept de “Public” démocratique est déjà là tout entier. On notera que le texte majeur établissant ces convictions (et asseyant la célébrité de Dewey) – L’intérêt lié à la volonté – fut publié en 1896, soit sensiblement à la même période qu’Ethics of democracy. Encore un indice d’un “hégélianisme” irrésistiblement maintenu de Dewey (à admettre que Hegel voie essentiellement dans l’Histoire un procès d’éducation continue). À l’époque du Public et ses problèmes, dans les années 1920, c’est toujours, d’ailleurs, à ce titre de pédagogue novateur que Dewey visita la Turquie kémaliste, l’URSS, deux pays désirant appliquer certaines de ses théories éducatives (sans oublier son influence très importante sur la jeune démocratie chinoise). La “faiblesse” juvénilo-politique décelée chez Dewey par Honneth se serait-elle donc doublée d’une tendance perpétuelle à privilégier, notamment, donc, dans l’éducation, la démocratie sous forme de réforme sociale opératoire ?
[11] Honneth, op. cit., p. 773.
[12] Ibid.
[13] Honneth apparente volontiers les deux penseurs. Il signale l'influence de l'un sur l'autre, et pointe en particulier les ressemblances, "malgré tout ce qui les sépare" (les différences d'époque, etc) entre la "démocratie, régime de la réflexion" de Durkheim et la "coopération réflexive" deweyenne (donnant son titre au texte de Honneth). La réflexion, chez Durkheim comme Dewey, recouvre tant l'importance, en son sens populaire, de l'intelligence à l'oeuvre, honorée dans la démocratie, que le retour sur une expérience et ce que celle-ci aura provoqué d'enrichissement : la conscience, secondaire, de ce processus primaire de coopération sociale "organique ".
[14] Honneth, op. cit., p. 779.
[15] Robert Westbrook "souligne que l'immense sympathie de Dewey pour la République des Soviets - ses coopératives, sa gestion par les ouvriers de la production industrielle comme encore ses expérimentations dans le domaine de l'éducation - tenait à la grande proximité qu'il voyait avec sa vision de la démocratie telle qu'il l'avait envisagée un an plus tôt dans Le Public et ses problèmes" (Émilie Hache, introduction à Leur morale et la nôtre, La Découverte, 2014, p. 8).
[16] "Dewey doit considérer l'établissement de formes justes et coopératives de division du travail comme exigence normative valide principiellement, et ainsi composant interne de toute idée démocratique véritable. Habermas, quant à lui, ne peut accepter la demande d'accorder une priorité conceptuelle de l'égalité sociale au regard du principe de formation de la volonté démocratique." (Honneth, op. cit., p. 779).
[17] "D'une manière plus convaincante que John Dewey avant lui, et certainement plus vigoureuse que tous les auteurs qui lui succéderont, Habermas a su identifier dans la forme historique de l'espace public bourgeois une avancée à la fois de la connaissance et de la liberté, etc ", et plus loin : "Il est vrai que cette conception d'un espace public délibératif rappelle dans bien des traits les raisonnements déjà développés par Dewey dans son ouvrage ; mais par l'ancrage historique qu'il opère, Habermas montre pourt la première fois que que l'idée d'une implication collaborative dans l'espace public démocratique n'est pas simplement une construction pleine de bonnes intentions, mais constitue une revendication déjà institutionnalisée, qui aura cours aussi longtemps que l'action politique prétendra à la rationalité. " (Le droit de la liberté, op. cit., p. 435). Honneth semble malgré tout s'éloigner, dans ce dernier extrait, de sa position " pro-deweyenne " de 1998.
[18] Honneth évoque, par exemple, l’attribuant implicitement à Dewey, une “culture désirable de la démocratie” (op. cit., p. 779) devant laquelle Habermas aurait renoncé, “ effrayé par l’idée d’une vie éthique démocratique”.
[19] Ici, d’ailleurs, on ne s’étonne guère du choix effectué par Honneth de présenter (p. 772) le fameux texte deweyen sur les gangsters, tiré du cinquième chapitre du Public et ses problèmes. Or, ce texte est précisément révélateur pour nous d’une ambivalence, d’une tension, chez Dewey, dans sa conception des états politique et pré-politique. Ici, en l'occurrence, Dewey favorise le politique. Pourtant, non seulement, le fonctionnement interne d’une bande de voleurs (pour que celle-ci soit efficace comme n’importe quel autre public), se doit d’être relativement démocratique, c’est-à-dire intelligent, mais encore la participation à ce type de groupe n’interdit nullement a priori, comme le suggère Dewey, la participation à d’autres. On peut parfaitement être un voleur efficace et citoyen et membre d’une communauté religieuse, etc, voire d’une autre bande de voleurs. On est bien loin ici, semble-t-il, des analyses deweyennes purement expérimentales, le voleur étant considéré – comme d’autres groupes (cléricaux, en particulier) – dans une forme d’essentialité inquestionable, non-circonstanciée, anhistorique. Les gangsters aussi ont leurs problèmes. Ils constituent, eux aussi, un public s’entendant parfaitement à réagir aux conséquences de transactions ne les concernant pas, effectuées en amont, à l’origine de leur situation particulière. Hobsbawm étudiant la fonction sociale éthique (conservatrice) des bandits d’honneur, Louis Adamic s’intéressant au rapport organique existant, à l’époque même du Public et ses problèmes, entre banditisme et syndicalisme révolutionnaire aux USA, ou Deleuze et Guattari (intéressants pour une fois) analysant, plus récemment, les modalités rationnelles de comportement des “bandes de jeunes” dans Mille Plateaux, auront fait justice (si l’on peut dire) de ce genre de considérations abstraites, reprises ici sans plus de développement par Honneth, alors qu’elles témoignent, selon nous, d’une tendance relativement minoritaire, chez Dewey, à la célébration politique (intégrationniste) de la démocratie.
[20] Cette question deweyenne d’une difficulté communicationnelle constamment accrûe avec l’extension de la Great Society repose le problème de l’ambivalence de Dewey vis-à-vis de la sphère politique. Elle permet une nouvelle fois de voir tout ce qui le sépare de Marx précisément dans son approche de la question des états, ou encore des groupes pré-politiques destinés, peut-être, à la constitution commune en UN public unique. Dans sa réplique à la Question juive de Bauer, le jeune Marx estime, prenant le cas de la communauté juive - que égalité juridique ou pas - l'émancipation politique ne saurait coïncider avec l'émancipation humaine (et cela, d'ailleurs, quoique Marx, en pratique, eût défendu l'émancipation politique des Juifs) : il postule clairement une incompatibilité structurelle entre appartenance organique à des communautés déterminées, d'une part, et idéal communautaire humain, de l'autre. Dewey, lui, assimilant aussi bien les appartenances à telle église, tel club ou tel statut d'état-civil, entend plutôt, par son concept de substitution d'une Grande Communauté à la Grande Société industrielle, une fusion harmonieuse des appartenances et à travers celle-ci, une extension de la capacité rationnelle d'intervention du “public”, n'abandonnant ainsi qu'une simple unilatéralité, contraignante, d'appartenance, ou de qualité. Il y a donc, chez le jeune Marx et Dewey, une progression (accusant certaines ressemblances superficielles) vers une identité générique concrète de l'homme démocratique. Mais ces ressemblances ne sauraient néanmoins être exagérées : chez Marx, c'est bientôt la nature essentiellement dépossédante du travail industriel qui fixera, négativement, la condition d'épanouissement concret. L'épanouissement démocratique des facultés de l'homme est rendu impossible du fait de l'établissement de la société en classes et de la division conséquente, réifiante, de l'activité scientifique et inter-subjective que cette société présuppose. Honneth ne voit pas que la prise de conscience ou perception, chez Dewey, par le Public de ce qu'il est ou pourrait être, n'entraîne jamais chez lui l'aperception de son être - de fait, problématique - comme unité synthétique de déterminations hostiles et opposées, dont le rapport fondamentalement conflictuel limiterait précisément cette extension et ce développement humain, virtuellement infinis, mis au crédit de l'idéal démocratique.
[21] Dans Le droit de la liberté, Habermas et Arendt seront rapprochés par un Honneth signalant d'ailleurs la portée et les limites communes d'une telle critique (ou d'un tel pessimisme) anti-consumériste (voir op. cit., p. 430). Dans son texte de 1998, cet éventuel pessimisme culturel habermassien typique n'est, pour le moins, pas mis en valeur. Sans parler de celui de John Dewey.

vendredi 10 novembre 2017

Coincé

jeudi 9 novembre 2017

Possibilité et tendance objectives


« L'article de 1924 de Bohr, Kramers et Slater mit en lumière un aspect essentiel de l'interprétation correcte de la théorie quantique. Leur concept d'onde de probabilité était quelque chose d'entièrement nouveau en physique théorique depuis Newton. La signification d'une probabilité en mathématique ou en mécanique statistique, c'est l'énoncé de notre degré de connaissance de la situation objective : en jetant les dés, nous ignorons les minuscules détails du mouvement de nos mains qui déterminent la manière dont tombe le dé et, par conséquent, nous disons que la probabilité pour faire apparaître un nombre donné est exactement d'un sixième. L'onde de probabilité de Bohr, Kramers et Slater, elle, signifiait davantage : elle signifiait une tendance à quelque chose. C'était une version quantitative de l'ancien concept de potentia de la philosophie d'Aristote. Elle introduisait quelque chose se situant au milieu entre l'idée d'un phénomène et ce phénomène lui-même, une étrange sorte de réalité physique à égale distance entre la possibilité et la réalité. »

(Werner Heisenberg, Physique et philosophie