jeudi 31 mars 2016

Burger extra


Aufklärung

 Un Aufklärer (France, vingtième siècle).

« C'est la destination de la raison humaine que de ne reconnaître aucune limite absolue, et ce n'est que par là qu'elle est raison, et l'homme, un être autonome, libre, raisonnable. Par conséquent, pousser ses recherches dans l'illimité est un droit inaliénable de l'être humain (...)
Or, si le droit inaliénable de pousser l'examen au-delà de ces résultats établis est avéré, alors est en même temps avérée l'inaliénabilité du droit de pousser en commun l'examen au-delà d'eux. Car quiconque a le droit sur le but l'a également sur les moyens, si nul autre droit ne se tient sur son chemin, or l'un des plus excellents moyens pour s'avancer est que d'autres nous donnent des enseignements ; par suite, chacun a le droit inaliénable d'accepter de manière illimitée les enseignements donnés librement. Si l'on ne doit pas supprimer ce droit, il faut alors également que le droit d'autrui à donner ces enseignements soit inaliénable.
La société n'a par conséquent aucunement le droit d'exiger ou d'accepter une telle promesse de cession, car celle-ci contredit un droit inaliénable de l'être humain ; aucun membre n'a le droit de faire une telle promesse, car celle-ci contredit la personnalité d'autrui et la possibilité qu'il puisse agir moralement en général. Chaque être qui la fait agit contrairement au devoir, et dès qu'il le reconnaît ; il est de son devoir de reprendre sa promesse.
Vous vous effrayez de la hardiesse de mes conséquences, vous, les amis et les serviteurs des anciennes ténèbres, car les gens de votre espèce sont faciles à effrayer. Vous espérez qu'au moins je me sois encore réservé un prudent " dans la mesure seulement où..." , que je me sois encore laissé ouverte une petite porte de sortie pour votre serment de religion, pour vos livres symboliques, etc. Et l'aurais-je que je ne voudrais pas vous faire ici le plaisir de l'ouvrir, - justement parce qu'on s'est toujours conduit si convenablement avec vous, que l'on vous a toujours laissés trop marchander, que l'on a toujours évité de toucher aux ulcères qui vous faisaient le plus mal, que l'on vous a lavés de votre noirceur sans vouloir vous mouiller la peau ; c'est pourquoi vous vous êtes faits si bruyants. Il vous faudra dorénavant vous habituer peu à peu à voir la vérité sans voile.»

(Johann Gottlieb Fichte, Revendication de la liberté de penser)


mardi 29 mars 2016

samedi 26 mars 2016

Carambolages

Expo Carambolages 
2 mars - 4 juillet 2016 
Grand Palais, Paris, 75008.

mardi 22 mars 2016

Defending the underdog



Tandis que sort, ces jours-ci, aux éditions Sao Maï, notre traduction de la conférence donnée devant les taulards de Chicago par Clarence Darrow en 1902 (Crime et criminels), voilà l'occasion, ci-dessus et ci-dessous, de revisiter la carrière de cet étrange américain typique, dont le DYNAMITE ! de Louis Adamic, en particulier, rappelait nombre de faits d'arme judiciaires, liés aux violences de classes inimaginables imprégnant la société US des années 1900 - 1930. 
Big Bill Haywood (IWW) doit sans doute à Darrow sa vie, et son pote Eugene Debs, meneur en particulier de la légendaire grève Pullmann de 1894, sa liberté. Et tant d'autres : gangsters, noirs, assassins, terroristes révolutionnaires, syndicalistes (les frères Mac Namara - de l'AFL - responsables d'un des attentats les plus sanglants de l'histoire nord-américaine : le dynamitage de l'organe patronal Los Angeles Times, en 1910 - 20 morts)...
Bref, Darrow défendait les irrécupérables, les monstres, les hors-morale, et vomissait la prison comme elle le mérite toujours, en tant que l'absurdité et la cruauté bourgeoise suprêmes.
Au cinéma, Darrow fut incarné par Kevin Spacey (bof) mais surtout Orson Welles, dans Compulsion (en français : Le génie du mal). On entendra ci-dessous une partie (authentique) de sa plaidoirie dans l'affaire Leopold-Loeb : deux richards ayant un jour décidé d'assassiner un enfant par ennui, pour voir ce que ça faisait, en quelque sorte, et histoire de prouver leur supériorité intellectuelle. Monstrueux ? Mais il n'est pas de monstre. Rien de ce qui est humain ne m'est étranger. Voilà ce que raconte une certaine morale pragmatiste, américaine à son meilleur, ceci devant être rappelé, le cas échéant, aux anti-impérialistes indécrottables, tentés d'estimer entaché de vice a priori tout ce qui provient de l'autre côté de l'Atlantique. Il fut un temps, souvenons-nous-en, où l'avant-garde prolétarienne se la donnait justement aux USA, entre bombes anarchistes, Premier Mai, révoltes de masses à la ville comme à la campagne, expérimentations politiques, et utopiques, de premier ordre.
Darrow fut, à sa mesure, un produit de ce temps et de cette culture, notamment procédurière, dont la vermine judiciaire ordinaire qui pourrit ici-bas la vie des pauvres ne saurait néanmoins nous faire oublier qu'elle est aussi le produit du génie humain, et de sa tendance inflexible à la liberté, à la détestation rationnelle de l'autorité.  


Généalogie de la morale

Budapest-Paris


vendredi 18 mars 2016

Sham


Bloch-Adorno : sur l'utopie et la mort (1964)


« Horst KRÜGER. - M. Bloch, acceptez-vous ce que nous venons de mettre en relief à savoir que l'angoisse de l'homme devant la mort, le fait que celui-ci doive mourir serait d'une certaine façon la plus profonde et la plus légitime racine de son mode de pensée utopique ? 

Ernst BLOCH. - Oui, la préoccupation de la mort apparaît dans deux régions de la pensée : dans la médecine - sur un mode pratique, empirique et pour ainsi dire administratif - et dans la théologie. C'est avec l'appel : « Je suis la Résurrection et la Vie ! » que le christianisme a triomphé dans les premiers siècles, et non avec le Sermon sur la Montagne ou avec l'eschatologie. La mort représente en fait la plus dure des contre-utopies. Le scellement du cercueil met fin à la série de toutes nos tentatives individuelles et dévalue également tout ce qui l'a précédé. Et s'il n'y avait rien d'autre ? 
Il existe une image du désespoir qu'on doit à Voltaire : il s'agit du désespoir absolu d'un naufragé qui nage, lutte pour sa vie, se débat parmi les vagues et à qui l'on apprend que l'océan dans lequel il se trouve n'a pas de rives, mais que la mort, en revanche, est tout entière présente dans l'instant où il se tient. Ses efforts ne le mèneront nulle part car il n'y a nulle part où aller. Cette situation ne peut pas évoluer. Cette image, la plus forte des contre-utopies, est toujours actuelle et doit être rappelée afin de bien présenter notre sujet dans toute sa complexité. Autrement, s'il n'y avait pas dans la réalité quelque chose d'inéluctable, quelque chose n'ayant pas eu d'histoire jusqu'à présent et n'ayant connu aucun changement dans le procès de la réalité, il ne pourrait pas y avoir cet «être» heideggerien (dieses Heideggersche Wesen) -, même si la réalité ne résistait pas aux efforts de cet «être» d'une façon aussi extraordinaire que dans l'exemple imaginé par Voltaire.
Venons-en maintenant au pathos de la liberté. Il est apparenté aux «rêves de vie meilleure» que les socialistes utopistes ont décrit, tout en s'en distinguant néanmoins. Dans les utopies sociales en particulier, la meilleure vie sociale possible n'est déterminée ni par la liberté ni par l'ordre. La liberté n'y est qu'une variable ou une construction auxiliaire en vue de la meilleure vie possible. Ce n'est pas dans l'utopie mais dans le droit naturel, et plus précisément dans le droit naturel du XVIIIème siècle, que la liberté intervient en tant que pathos, en liaison avec la droiture, avec la dignité qu'elle seule peut accorder. Guillaume Tell et les drames d'Alfieri sont pleins de ces figures de la liberté de grand style, ne devant rien à personne et criant « in tyrannos ! » (« À bas les tyrans ! »). C'est là qu'est le droit naturel. Il se trouve également dans l'espace de la possibilité objective et réelle mais n'est pas pour autant identique à l'utopie sociale. Il y a donc deux sensibilités utopiques : d'une part, l'utopie sociale en tant que construction d'une condition dans laquelle les hommes ne seront plus accablés par la peine et le travail, et, d'autre part, le droit naturel en tant que construction d'une condition dans laquelle les hommes ne seront plus humiliés ni blessés. C'est la deuxième de ces sensibilités que j'ai essayé d'exposer dans mon livre Droit naturel et dignité humaine. Maintenant, il faut ajouter une troisième sensibilité aux deux précédentes : 1'« enfant chéri » de la foi n'est pas le miracle mais la suppression de la mort ; il n'y a pas de meilleure façon de définir la foi. Il faut tout de même un miracle pour soustraire la mort à notre vue. Ce miracle, c'est la résurrection du Christ. Cette croyance - cet autre « qui me sauvera de la mort, de la morsure de la mort ? » - , comme il est dit dans la Bible, dans Le Nouveau Testament, est transcendantale : c'est quelque chose que nous ne pouvons pas faire nous-mêmes. Nous avons besoin ici de l'aide du baptême, de la mort du Christ et de sa résurrection. Voilà un exemple qui montre comment l'utopique peut être transcendé par le choix des moyens auxquels on a recours pour le faire advenir. Et pourtant cet exemple appartient également à l'utopie.

T. W. ADORNO. - Oui, je le crois aussi. Ce dont il s'agit ici, ce n'est sans doute pas d'imaginer simplement la suppression de la mort comme une sorte de progrès scientifique permettant de franchir le seuil séparant vie organique et vie inorganique à l'aide de nouvelles découvertes. À vrai dire, je crois que sans la représentation d'une vie sans entraves, d'une vie libérée de la mort, l'idée d'utopie ne peut même pas être conçue. Par ailleurs, il y a une indication dans ce que tu viens de dire ­avec raison, à mon avis - à propos de la mort. Dans toute l'histoire de l'utopie, il y a quelque chose de profondément contradictoire : d'un côté, elle ne peut absolument pas être conçue sans la suppression de la mort mais, de l'autre, elle est inhérente à l'idée même de mort, je veux dire, à la lourdeur de la mort et à tout ce qui lui est lié. Si elle n'était pas inhérente à cette idée, si elle ne permettait pas de penser en même temps le seuil de la mort, alors il n'y aurait pas à proprement parler d'utopie. Il me semble que cela a une conséquence très importante sur l'épistémologie de l'utopie - si je peux m'exprimer d'une façon aussi grossière -, à savoir qu'il est impossible de peindre l'utopie de façon positive. Toute tentative visant simplement à décrire ou à peindre l'utopie - à dire : ce sera ainsi et ainsi - est au fond une tentative pour surmonter cette antinomie de la mort, parler de la suppression de la mort et faire comme si la mort n'existait pas. C'est peut-être la plus profonde raison, la raison métaphysique pour laquelle on ne peut proprement parler d'utopie que d'une façon négative, comme la grande philosophie l'a déjà établi chez Hegel et, d'une façon encore plus réfléchie, chez Marx.

Ernst BLOCH. - Parler de l'utopie « d'une façon négative » ne signifie bien entendu pas la « déprécier »...

T. W. ADORNO. - Non, il ne s'agit pas d'une « dépréciation » de l'utopie mais de la négation déterminée de ce qui est. La négation déterminée est l'unique forme dans laquelle la mort est également incluse - parce que la mort n'est rien d'autre que la puissance de ce qui se contente d'être tout en étant, en même temps, une tentative pour sortir de ce simple être. Voilà pourquoi je crois - même si, énoncé ainsi, cela peut avoir l'air d'une thèse - que l'interdiction d' «esquisser» l'utopie et d'en préciser les moindres détails, comme Hegel et Marx l'ont...

Ernst BLOCH. - Hegel ? 

T. W. ADORNO. - ... Hegel a déprécié l'utopie dans la mesure où il a critiqué dans son principe même la figure de celui qui veut rendre le monde meilleur (den Weltverbesserer) pour lui opposer l'idée de tendance objective - une idée que Marx a immédiatement reprise - ainsi que celle d'un Absolu se réalisant dans l'Histoire. Ce qu'on peut appeler aujourd'hui « la critique hégélienne de l'utopie », c'est la critique de cc qu'on appelait ainsi à l'époque de sa jeunesse. Ce qui est visé là, c'est à proprement parler l'interdiction de donner une image de l'utopie pour le salut de l'utopie elle-même - ce qui est intimement lié au commandement : « Tu ne feras pas d'image ! » Ce commandement est aussi vraisemblablement un refus de l'utopie à trop bon marché, de la fausse utopie, de l'utopie qui se laisse acheter, qui laisse acheter ce qui a été pensé. 

Ernst BLOCH. - Je suis parfaitement d'accord avec toi. Cela nous ramène à la première question, à la question et à la situation pour ainsi dire actuelles : pourquoi l'utopie perd-elle toute sa force quand je la présente comme déjà existante, comme déjà acquise, alors que je n'ai encore payé pour elle qu'un « acompte » ? Avec l'expression « payer un acompte pour l'utopie », je vise la façon dont on «réalise» cette dernière dans les livres. L'utopie gagne déjà un peu de réalité lorsqu'elle est décrite dans un livre. Elle y est, comme tu dis, «esquissée», mais on est en général déçu. En se « réalisant» dans un livre, l'utopie perd sa force ; ses tendances, éphémères ou non, s'y réifient et elle devient, ontologiquement parlant, bien plus qu'un être-en-tendance (mehr als In-Tendenz-Sein) : la description livresque de l'utopie donne l'impression que le grand jour est déjà arrivé. Une rébellion iconoclaste contre une telle réification me semble aujourd'hui souhaitable. Il faut protéger l'utopie contre ses insuffisances, le fait que la mort n'ait toujours pas été supprimée justifie cet impératif. Car la mort n'est pas un simple « maintenant il faut s'en aller », comme disait le vieux Schopenhauer, mais une provocation permanente planant au-dessus de toute satisfaction, aussi grande et aussi lourde de miracles économiques sociaux soit-elle. Une interdiction (ein Nicht-Sein-Sollendes) subsiste, celle de passer de l'utopie, du désir à un ordre, une organisation globale où règnerait la liberté, où tout serait en place, « d'aplomb », dans un sens à la fois beaucoup plus profond et plus large que ne l'entendent les utopies sociales. Un tel désir est pourtant présent, ainsi que - pour revenir à la mort - l'angoisse humaine de la mort, une angoisse fondamentalement différente de ce que peuvent ressentir les animaux. Il y a, d'un côté, cette angoisse humaine de la mort non «esquissée» constituant une expérience plus riche que celle des animaux et, de l'autre, le sentiment qu'il n'y a plus de séries causales orientées vers une fin. Car il n'y a bien sûr pas d'utopie sans séries causales orientées vers une fin. L'utopie est absolument impossible dans un monde non téléologique. Si le matérialisme mécaniste s'est révélé incapable d'engendrer la moindre utopie, c'est parce qu'en lui, tout est présent, tout appartient à un même présent mécanique. Mais le fait qu'il existe dans le matérialisme mécaniste une telle prévention contre l'interdiction, quelle qu'elle soit, montre qu'il y a aussi de l'utopie dans ce domaine où il lui est pourtant si difficile de pénétrer, et je crois, Teddy, qu'ici nous sommes parfaitement d'accord : la fonction essentielle de l'utopie est de critiquer ce qui est présent. Si nous n'avions pas déjà dépassé les barrières, nous ne pourrions pas les percevoir comme des barrières.

T. W. ADORNO. - Oui, en tout cas, l'utopie se loge essentiellement dans la négation déterminée de ce qui se contente d'être et qui, finissant toujours par se concrétiser sous la forme de quelque chose de faux, fait toujours en même temps signe vers ce qui devrait être. » 

(Entretien radiophonique animé par Horst Krüger, 1964)

mercredi 16 mars 2016

Ideal type

(source : The K. M. Institute for Ethno-Differentialistic Studies)

« Nous arrivons ainsi à la question plus vaste, et, en vérité, plus  difficile de la forme du crâne. On ne peut nier que les données du problème aient été jadis très simples : les anciens Germains de Tacite, de même que les anciens Slaves, présentaient des têtes longues bien accusées ; le crâne allongé et au-dessous, le visage allongé, constituent des signes de la race tellement sûrs qu'on a tout lieu de se demander si dans cette race, il faut inclure les individus qui ne se distinguent pas par tous ces signes. »

(H. W. Chamberlain, La genèse du XIXème siècle, 1913)

mardi 15 mars 2016

Singe en hiver


Vous ne pleurez pas ? Étrange.
C'est que, pourtant, tout est là.
Et puis, allez ! un peu ICI aussi, tant qu'on y est, à causer de singe.
En hiver.

lundi 14 mars 2016

Voyage au Dahomey


« Le nègre sauvage et barbare est capable de toutes les turpitudes et, malheureusement, Dieu sait pourquoi, il semble être condamné dans son pays d'origine à la sauvagerie, à la barbarie à perpétuité. Trois semaines de labeur lui suffisent pour assurer sa provision de riz, de maïs, etc. S'il travaillait pendant six mois, il ferait de sa patrie un paradis. Mais le manque de toute idée de progrès, de toute morale ne lui permet pas de se rendre compte de la valeur incalculable, de la puissance infinie du travail, et ses seules lois sont ses passions brutales, ses appétits féroces, les caprices de son imagination  déréglée. »

A. Dubarry, Voyage au Dahomey (1879).

dimanche 6 mars 2016

Burlesque

 

En visite, hier soir, au Théâtre Mains d'Oeuvres de Saint-Ouen, dans le cadre du Festival Riot Grrlz. Celui-ci accueille encore, ce dimanche, des concerts de punk (paraît-il) ainsi que des numéros d'effeuillage burlesque, selon le terme en vigueur pour désigner le phénomène. Vigueur. Burlesque. C'est une fois de plus, en l'espèce, le poids et l'effet relatifs des mots dans leur adéquation aux choses qui nous laissèrent là, à l'issue de cette soirée, dubitatifs et songeurs. Le doute ni le songe, certes, lorsque ceux-ci vous approchent et vous gagnent, ne sauraient constituer en soi aucun problème a priori douloureux. Ils forment même l'origine, féconde, de ce processus appelant de multiples raffinements, que l'on qualifierait avec autant de pertinence de philosophique ou d'érotique.
Selon toute vraisemblance, l'Éros fonde en effet toute réalité. Il est le circuit reliant ses moments tout autant qu'il les distingue qualitativement (ce qui ne signifie pas qu'il en déprécie aucun). L'Éros procède d'une pulsion aussi unitaire que différenciée, impliquant la légitimité égale de deux moments fondamentaux - matière biologique, somatique, d'une part, et conscience, soit réflexion sur celle-ci de l'autre - mais aussi la reconnaissance finale de leur passage nécessaire, unitaire, l'un dans l'autre, leur transformation réciproque perpétuelle. Ce que l'on considère souvent comme l'immédiateté absolue, irréductible : la pulsion érotique, serait aussi bien le médiatisé suprême, à la faveur du temps, lequel, en toutes choses, et même des plus obscures (comme la pulsion, en l'occurrence) demeure un grand et surprenant éducateur, et pédagogue. Semblable passage érotique : fluide, autogénétique, se vit autrefois présenté par Platon (suivant des vues essentialistes qui, par ailleurs, ne sont pas les nôtres) comme celui des beaux corps aux meilleures idées. Cette idée nous semble toujours aussi invinciblement séduisante, en regard d'un statisme moniste pouvant bien, s'il lui chante, se déclarer tant qu'il veut le plus « matérialiste » du monde, ce qui ne veut pas dire grand-chose. Autrement dit, nous croyons à cette forme particulière d'unité purement processuelle du corps et de l'idée, de leur ramassement progressif en une totalité ainsi seulement libératrice, incluant ce moment de différenciation avec elle-même : une forme de dialectique, en somme, qui ne soit pas de toute nécessité, comme l'estiment certains, certaines, une volonté de domination, un ressentiment, une « rage idéaliste » (Adorno) de tout soumettre à une raison impérialiste et réductrice, soucieuse de tout contrôler, tout détruire d'une altérité objective n'existant au fond, pour elle, que comme matière de sa propre puissance.
Voilà ce qui nous sépare, pour la faire très courte, des ennemis a priori de l'identité, des défenseurs divers d'une stricte hétérogenèse du réel, et de la grande thèse, connexe, de l'impossibilité définitive de rassembler l'ensemble de ce réel à l'aune - spécifiquement humaine - d'un sens ou d'un sujet communs (à moins de participer, consciemment ou non, d'une pensée absurdement totalitaire, qu'elle soit fasciste, chrétienne ou tributaire d'un autre mensonge métaphysique quelconque). À rebours d'une telle conception, l'Éros possède d'abord, à nos yeux, sa propre force biologique nécessitant d'être sentie, expérimentée pour elle-même, afin, ensuite, de pouvoir devenir autre chose, cet autre chose qu'elle est, en vérité, déjà en soi, virtuellement.
Ce qui nous ramène à notre soirée d'hier. Ladite soirée Riot Grrlz était en effet constituée de numéros érotiques tous présentés, introduits, par une meneuse de revue, une master of ceremony pour l'occasion extrêmement bavarde. Et c'est bien là que le bât blesse. Passe encore le contenu déterminé de son discours, ces présentations des différents numéros burlesques procédaient, à chaque fois, clairement d'une défense de ceux-ci, d'une défense pédagogique, par les mots, d'une puissance du corps érotique pourtant parfaitement auto-suffisante, n'ayant besoin, selon nous, d'aucun avocat extérieur, d'aucune défense intellectuelle de ce genre : politique, en l'espèce, l'approche Riot Grrlz misant sur la pertinence d'approches conceptuelles, différenciées, de phénomènes se situant avant tout, liminairement, en deçà du dicible, du concept. L'Éros est d'abord trouble primitif sans paroles - peut-être (et c'est notre point de vue) voué à s'éclaircir - mais pour l'heure non susceptible encore de discours (si progressiste ou, à l'inverse, si anti-discursif soit-il).
Cette vocation évolutive de l'Éros ne saurait, en d'autres termes, nullement être d'entrée de jeu explicite, ni explicitée auprès d'un public plus ou moins « ignorant » de la chose, et qui devrait, à ce titre, se voir convaincu de la manière la plus adéquate de recevoir l'administration d'un tel spectacle érotique. C'est à ses fruits, spirituels, que la chair nous semble devoir être célébrée, ceci après, cependant, que la possibilité intellectuelle d'une telle célébration aura été reconnue possible, après que la force alogique de la pulsion érotique aura été ressentie dans toute sa richesse première, sans question (ni réponse), comme trouble nécessairement pur, après qu'elle aura appelé comme manque élémentaire, comme faim à satisfaire, son propre dépassement, lequel vaudra, alors, effectivement - mais après coup - comme vérification de son être légitime. Or, la master of ceremony de notre soirée de Saint-Ouen entendait, elle, par sa défense consciemment Riot Grrlz d'un burlesque et d'un strip-tease corrects (politiquement corrects, à strictement parler et sans aucun mépris de notre part), c'est-à-dire adéquatement, discursivement repris par des femmes se réappropriant là leur corps et leur désir, asseoir une correction se défiant néanmoins, donc, dès la racine, des déferlements de beauferie, violence et sexisme (bref : de sauvagerie) que l'exhibition du corps féminin ne manque jamais de susciter dès lors qu'on n'y met pas bon ordre. Cette dame, donc, entendait imposer, à travers cette modalité particulière, une fois de plus, l'idée d'une consubstantialité originaire, immobile, du corps et de l'esprit. La consubstantialité, c'est l'absence de mouvement, et l'univocité de l'être, qu'elle présuppose, c'est l'absence de scandale d'une matière qui prime tout, hors toute idée de vice, de péché, d'anormalité, en somme : d'une liberté de la pensée au regard de l'être, et des conséquences éventuelles, fâcheuses, d'une semblable liberté. Pensons à Shakespeare, le plus voyoucrate et burlesque de tous les créateurs universels. N'avait-il pas réussi son coup seulement quand, au théâtre du Globe, le triomphe de ses acteurs avait d'abord été précédé de la spontanéité terriblement hostile de son public (bruits, objets balancés dans la gueule, moquerie, etc) ? Conquérir le public, le séduire, c'était le faire littéralement sortir de lui-même, en l'ayant tout d'abord pris comme il était venu, sans prétendre le trouver déjà correctement formé. La pulsion érotique, comme pulsion essentiellement plastique, renvoie à quelque chose de ce genre. Défendre, par exemple, comme cette dame le faisait hier soir, déguisée en abeille, la consommation politique bio solidaire-citoyenne autant que la neutralité politique du sexe (son par-delà bien et mal, si l'on préfère), les circuits courts de distribution agricole, la lutte contre la malbouffe et les multinationales américaines (y en aurait-il d'autres ?) ruinant la planète autant que l'effeuillage militant, revient, à notre sens, à cette même attitude consistant en toutes choses à griller les étapes, à abolir celles-ci et le mouvement dialectique auquel elles renvoient : à tout noyer dans la croyance paradoxale que, par quelque anamnèse inconnue, la simple conscience d'un être se suffisant comme être permettrait d'en finir avec tout décalage intempestif être-conscience et, accessoirement, tout lien obligatoire entre sexe et violence. Or, le sexe peut-il être d'abord autre chose que violence ? Il ne reste même authentiquement que cela, à condition d'estimer la violence elle-même comme essentiellement polymorphe et changeante, historiquement déterminée (autant que les pulsions), autrement dit expliquable, susceptible après coup d'un discours, d'une rationalité, d'un commun violent, enfin aperçu, des hommes. Tout nous semble reposer dans ce pouvoir soit reconnu, soit dénié, à la raison, à une certaine forme de raison, raison que d'aucuns préfèrent estimer tout uniment instrumentale et dominatrice. Le trouble et la violence que provoqueront en moi (ou pas) la vision d'un corps féminin érotisé doivent rester pour l'heure indicibles (non-justifiés, non-défendus) pour que soit révélée cette communauté pulsionnelle indicible que je partage avec l'humanité entière, au hasard de telle situation historique - contingente - faisant tout mon être de départ. Autrement dit, c'est dans notre impuissance commune à d'abord dire l'Éros qui me frappe dans la plus indicible violence que résidera paradoxalement, ensuite, la force d'un Éros raffiné en discours et en idée collective (la première impuissance se saisissant comme telle). Lorsque Deleuze moque à juste titre Bataille, raillant, en regard d'un D-H Lawrence, sa volonté de transgression typiquement française et catholique, déplacée, attendu que le sexe, comme simple émission matérielle, simple transfert matériel de force, ne saurait faire l'objet d'aucune transgression, d'aucun scandale ni contre-scandale, bref d'aucune vérité, d'aucun discours supplétif, et secondaire par rapport à l'être, son refus de l'histoire, malgré tout, son refus des processus, du négatif, du dualisme apparent - momentané - que ces derniers impliquent, pose un problème encore bien plus grave que « le sale petit secret bataillien ». L'Éros, chez Deleuze, n'existe jamais comme transformation, comme humanisation, comme apprentissage communs. Le triomphe de la matière est pour lui statique, quoi qu'il dise, sans début ni fin, ni nouveauté possible.
Écoutant, hier soir, le discours, parfois citoyennement assez pénible, de la master of ceremony de notre spectacle Riot grrlz de Saint-Ouen, il nous venait parfois à l'esprit qu'un tel esprit « éducatif », à force de nier, éléatiquement, le mouvement érotique réel : d'une violence « légitime » (phénoménologiquement) jusqu'à une spiritualité étayée sur la matière (sur son autre-même), risquait, en bien des cas, de s'avérer contre-productif. 
La performeuse Lou Kick, dont le début du premier show (axé sur la domination) fut, par ailleurs, selon nous, le plus réussi de la soirée (parce que, justement, le plus érotiquement sophistiqué : faisant, avec un détachement bienvenu, la part qu'elle méritait enfin à cette violence simplement native de l'érotisme) nous confia, furtivement, un peu plus tard, à l'entracte, que son idée du burlesque visait plutôt à présenter ce type de spectacle là où il n'existait pas encore : à savoir dans des bars, mariages, clubs reculés, bowlings, etc : des endroits, en d'autres termes (avons-nous pensé nous-mêmes) où ce genre d'érotisme demeurait, d'entrée, peu connu, pionnier, dangereux même, d'une certaine manière, puisque soumis à des réactions possibles plus imprévisibles qu'ailleurs. Le burlesque, tout militant soit-il, est peut-être - sinon - déjà voué, sociologiquement, à des réceptions plus inoffensives, du moins plus attendues, moins primaires au sens psychanalytique et pulsionnel. La chose vaut, d'ailleurs, pour l'étude de tout phénomène de réflexion, de reprise historique et esthétique analogue : la série Z, le Giallo italien, l'esprit village célébré par la bourgeoisie sur les ruines authentiques de la convivialité ouvrière, par elle de fait massacrée, etc : tous référencements de phénomènes effectués par un public dominant, différent du public d'origine, équipé d'un nouveau discours, d'une nouvelle idéologie et, surtout, de la nécessité que ceux-ci existent. C'est dans ce type de questionnement politique - concrètement universaliste - que la pertinence du spectacle burlesque nous semble, comme tout le reste, devoir se réfléchir.

samedi 5 mars 2016

Un communiqué du FYST

 

« Un scout nous a quittés : Jean-Marie Sorlot, fondateur et chef de district du Chesnay durant plus de 40 ans. Jean-Marie fit partie des tout premiers à rejoindre le Mouvement des Scouts d’Europe de Versailles. Soucieux à la fois de développer la pédagogie scoute traditionnelle et de transmettre la tradition de l’église, en particulier dans sa liturgie, il aura consacré sa vie à l’éducation de la jeunesse, mettant notamment ses unités à disposition des organisateurs du pèlerinage de Pentecôte, organisé par le Centre Charlier puis Notre-Dame-de-Chrétienté (pour servir les Chapitres Enfants). Ses obsèques auront lieu ce samedi 5 mars, à la Cathédrale Saint Louis de Versailles. Elle seront suivies de l’inhumation, au cimetière Saint-Louis : 8 rue Monseigneur Gibier. »

(Communiqué du FYST - Fédération des Yvelines des Scoutismes Traditionnalistes)

jeudi 3 mars 2016

Jeune et jolie


Mañana sol !

mercredi 2 mars 2016

Ca fume grave...

 
(Pour les non-bochophones, 
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Cinq pièces faciles


1
La réalité est l'absence apparente de contradiction.

2
Le merveilleux, c'est la contradiction qui apparaît dans le réel.

3
L'amour est un état de confusion du réel et du merveilleux. Dans cet état, les contradictions de l'être apparaissent comme réellement essentielles à l'être.

4
Où le merveilleux perd ses droits commence l'abstrait.

5
Le fantastique, l'au-delà, le rêve, la survie, le paradis, l'enfer, la poésie, autant de mots pour signifier le concret.


(Louis Aragon, Le paysan de Paris)

Note du Moine Bleu : On se déprendra utilement, relativement à ce qui précède (voir pièce n°1), de l'erreur fatale de traduction (laquelle fut aussi, jusqu'à peu, la nôtre) aboutissant à prêter, absurdement, à Hegel la pensée suivante : Tout ce qui est réel est rationnel. Le réel, comme on le voit ici, pourrait aussi bien être désigné la fausseté, ou l'irrationnel suprême, à force de n'être pas médiatisé, de gésir seulement dans l'apparence la plus pauvre. L'immédiat, de même que l'instant considéré pour lui-même, ne fascine ainsi jamais que les libéraux, de gauche ou de droite, et l'empirisme de manière générale : ce bon gros bon sens ne croyant que ce qu'il voit, ou se sent voir, et tissant volontiers, à son propre sujet autocentré, ses très sordides et positives mythologies. Impossible donc, sitôt cette erreur corrigée, de considérer Hegel comme cet apologète de l'existant que les fines mouches spinozistes dénoncent le plus souvent, lui qui, à la moindre seconde, chercherait plutôt (comme parfaitement aperçu, en l'espèce, par Aragon) à présenter le rationnel comme le con-cret, le pris-ensemble conflictuel des contradictions fondant, seul, le rationnel proprement entendu. C'est pour cette raison que Hegel demeure toujours un camarade, que nous saluons, d'ailleurs, au passage, et à qui nous souhaitons une bonne journée. Ainsi, bien sûr, qu'à Mme Hegel.