vendredi 28 août 2015

Notes sur la religion, dans son rapport au communisme (2)

Le Moine Bleu, 
Les débuts difficiles de l'anti-hiérarchisme, 1372.
 (détail)

Rêvons. Imaginons, un bref instant, un travailleur malien, arabe, turc ou quelque autre prolétaire que ce soit issu, plus ou moins lointainement, d'une autre région de culture traditionnelle musulmane, et choisissant plutôt, pure hypothèse délirante ! en pleine liberté et au moment de se définir lui-même, d'assumer par révolte telle identité purement politique, apatride et athée. Cet homme ne délaisserait-il pas, à l'instant même, de fait, toute autre identité - essentialisée, elle - que la société spectaculaire (gauchistes compris) essaie d'ordinaire à toute force de lui coller sur le dos à fin de stabilité symbolique ? Ledit camarade, ce grand choix effectué, ne pourrait plus être ravalé autoritairement à quelque communauté illusoire, nationale ou transnationale que ce soit. On nous dira que de telles transformations ne sauraient se produire ex nihilo. Mais nous ne sommes pas ex nihilo. Nous sommes dans une puissance capitaliste d'avant-garde exploitant des travailleurs de la manière la plus moderne possible, et leur fourguant ensuite, au cours de ce qu'il leur reste de temps dit libre, une camelote culturelle de pointe à consommer. Toute cette modernité objective façonne. Elle force immanquablement la main, en quelque sorte, à la modernité ouvrière subjective, cela depuis que le capitalisme existe et exploite. L'extinction progressive du sentiment du divin chez les immigrés italiens, ou polonais, ou portugais, au bénéfice du syndicalisme, de la politique ou simplement du libertinage individualiste, serait-elle, hors toute considération historique et dialectique, simplement impossible à concevoir chez d'autres ethnies ? Il suffit, pour se convaincre de la fausseté dogmatique d'une telle position, d'examiner la situation des travailleurs, des travailleuses immigrées arabes d'aujourd'hui, relativement à leurs anciens (et leurs anciennes) ayant connu, ne fût-ce que depuis un autre espace-temps, certes, que le travailleur ou le bourgeois français, la période d'hédonisme libéral de la fin des Trente Glorieuses. Ce que le gauchisme contemporain, souvent, refusera d'admettre ici, c'est la pure défaite historique, la perte objective de liberté individuelle (en matière de moeurs, de sexualité, de comportement festif, etc) notamment par soumission gauchiste opportuniste à la pression religieuse latente et renouvelée. Cela vous a un tout autre air que l'identité maghrébine intangiblement conservatrice à respecter en tant que telle, et autres sornettes idéologiques typiquement indigénistes-de-la-république. Et la chose ne vaut pas qu'en France. Partout dans le monde arabe, de telles compromissions gauchistes auront, à toutes époques, fait le lit de cette régression purement historique, et pourtant mise au compte ensuite, de manière criminellement stupide,  et anti-dialectique, de quelque solidité essentielle, structurelle, transhistorique du conservatisme moyen-oriental, maghrébin ou africain. 

La déchristianisation finale du peuple français était objectivement, voilà cent ans, quelque chose d'impossible à imaginer, une hypothèse absolument fantaisiste. Il faut cependant persister à croire une telle hypothèse, radicalement anti-religieuse et anti-identitaire, possible, et pour toutes et tous encore ! sous le capitalisme, car c'est ainsi, après tout, que le capitalisme procède, par décomposition progressive des identités. Il convient de considérer définitivement, d'autre part, comme plus ou moins inconsciemment raciste la thèse gauchiste spontanée interdisant le surgissement identiquement possible chez tous les hommes d'une telle conscience de classe. La conscience de classe, nourrie, pour une large part, par la pire détresse matérielle et la haine instinctive (toujours très sûre) des riches prêchant par tous moyens, y compris théologiques, la paix sociale et la collaboration de classe ne saurait se voir absurdement réservée aux riches. L'égalité de toutes ethnies devant la possibilité radicale d'apostasie et de basculement final hors de toutes identités, devient ainsi pour nous le critère décisif de l'antiracisme authentique.

En un mot comme en mille, le communiste, l'anarchiste, le révolutionnaire - tel pourrait bien être sa définition adéquate - est celui qui disparaît, une bonne fois pour toutes, en tant que porteur d'identité fixe. Il serait, pour un libertaire digne de ce nom, aussi absurde de souscrire à la thèse d'une existence déterminée a priori, intangible, quasiment biologique du musulman que de dénier au Français blanc de souche (comme disent ces imbéciles d'identitaires polychromes toujours assoiffés de racines) la possibilité de devenir jamais autre chose, au mieux, qu'un catholique ou un protestant modéré. Celui qui assume de manière acritique une identité fondamentale religieuse plutôt qu'une identité de classe, mouvante, décomposée, bref moderne et ouverte à tous les bouleversements de l'avenir, incluant la genèse d'un univers sans Dieu, a fait un choix d'adulte. Il ne saurait être, dans ce choix, ni encouragé ni défendu - à la manière d'un mineur cornaqué - par tel grand frère libertaire fermant, magnanime, les yeux sur le comportement aberrant, quoique sans conséquences gravement immédiates, de son cadet bien-aimé.

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