samedi 25 avril 2015

Du gauchisme (1) : de sa part bénie


Ne jamais parler des choses qui fâchent (principe familial).
Tout ce qui divise la classe ouvrière est mauvais (principe gauchiste).
Un se divise en deux (principe pro-chinois pré-situationniste).

Il nous faut affronter en face, une bonne fois pour toutes, cette sinistre vérité : nous sommes des gauchistes !
Ou plutôt, ce qui est bien pire encore, nous sommes restés des gauchistes, en dépit de ce que le gauchisme, d'évidence, est devenu aujourd'hui, soit un automatisme psychologico-culturel à vocation institutionnelle, aussitôt compatible, et bientôt liquéfiable dans la social-démocratie radicale. 
En son coeur multi-séculaire divisé, pourtant, en ses courants immémorialement chaud et froid (comme disait Ernst Bloch), le gauchisme n'a pas toujours présenté cet aspect misérable et déprimé. Il fut un temps, celui de notre jeunesse, où ce jugement de valeur (gauchiste !), jailli de gosiers et/ou de cerveaux droitier, policier, fasciste, alter-gauchiste... nous paraissait, somme toute, extrêmement adéquat, et où le recevoir, et le subir subrepticement ne nous causait aucun déplaisir notable. Non que nous nous reconnussions davantage qu'aujourd'hui, alors, comme des gauchistes (le gauchiste authentique - nous en étions, donc, et nous en sommes encore - fustigeant immanquablement en toute rigueur atomistique les autres gauchistes, pour lui les seuls réels). Mais enfin bon, les choses étaient ainsi, et nos adversaires le voyaient. C'est bien en effet parmi le gauchisme que depuis l'enfance, nous avions appris à lire, penser, haïr et aimer, c'est-à-dire à vouloir. Car le gauchisme conservera jusqu'au bout (du gauchisme) cette qualité et ce défaut principal de vouloir et prétendre qu'au beau milieu du désert, sans attendre, immédiatement, quelque chose se passe, quelque chose bouge, quelque chose vienne à advenir. Peu importe quoi, au juste. 
De ce fait, certes, le dernier des gauchistes vaudra toujours mieux que le plus érotique des prêcheurs de la grande harmonie de classe, ou des pessimistes désincarnés. Reste tout de même le problème, fâcheux, de la distance ainsi accumulée entre le gauchiste volontariste et sa propre vérité historique, d'abord, celle de l'univers qui l'environne d'autre part (et de la marche objective de ce dernier) sans parler, last but not least, de son bête intérêt stratégique à lui (au gauchiste) : trois éléments qui, en principe, ne devraient faire qu'un, au plan du communisme, c'est-à-dire de l'humanité et de la question de son bonheur collectif. 
Le gauchiste contemporain, cependant, ne relevant en bout de course que de l'accumulation primitive stratifiée d'innombrables renoncements théoriques, pragmatistes et moraux antérieurs ayant émaillé son histoire (ceux-là même ayant déjà procédé, par le passé, de cette volonté que quelque chose se passe, quelque chose bouge, etc, sans se voir jamais ni estimé ni relativisé ni contrarié par rien), l'effacement progressif de ce courant chaud le caractérisant pour moitié (soit la très haute sensibilité, parfois, que le gauchisme pouvait incontestablement développer par nécessité dans un monde rendu au cours des siècles de plus en plus insensible et atone, la qualité sophistiquée, souvent, de sa critique totale - ou totalisante - ne s'en laissant formellement conter par rien) au profit du courant froid culturo-institutionnel l'ayant pour l'heure emporté, atteint désormais, relativement à l'ensemble du phénomène, un seuil terminal critique. 
Le gauchisme, aujourd'hui, achève partout de s'essouffler pratiquement à mesure qu'il renonce encore dans la théorie. 
Le gauchisme agonise de ses adieux suicidaires délibérément adressés à l'ambition irréaliste, aux prétentions universelles, prométhéennes et arrogantes ayant pourtant, de toute éternité, constitué sa seule part bénie. 
Oui, oui.

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