samedi 28 septembre 2013

Méditer

À la lueur d'une bougie...


vendredi 27 septembre 2013

Tim Roth

                          

jeudi 26 septembre 2013

Pratique à risque et partenaires multiples


Étrangle-toi d'amour,
dégorge, et fais ta moue.
Adore à deux genoux,
comme un poteau 
sacré,
mon torse 
tatoué.

 (Jean Genet, Rocher de granit noir in Le condamné à mort)

mardi 24 septembre 2013

Riche Belgique (5) : Bruxelles et Gomorrhe

Petite finition à la vaticane (1960).

Nous vous parlions hier de Marcel Mariën à Ostende. Sachez qu'à l'instar de Dieu, le bonhomme présente ces deux qualités d'être à la fois mort et partout, puisque son film L'imitation du Cinéma, ayant causé un certain scandale international autour de 1960, est actuellement visible à Bruxelles, jusqu'au 6 octobre 2013, au Centre d'Art Contemporain installé place Sainte-Catherine. Entre deux productions en série de faux billets de cent francs belges, Marcel Mariën, auteur de la phrase immortelle Dieu a aussi inventé la merde ! avait à l'époque investi, dans la réalisation de son court-métrage, le produit financier d'une de ses ultimes escroqueries. L'histoire du film est assez obscure. Disons qu'elle tourne autour de l'expérience mystique d'un type en recherche sexuelle bien décidé à connaître, dedans sa chair, l'antique expérience de notre sauveur Jésus-Christ sur la Croix. Le type se rend donc, comme tout un chacun, jusqu'au magasin de bricolage le plus proche afin de s'y faire prendre les mesures (des bras et jambes) et commander l'instrument de contreplaqué adéquat, auprès d'une vendeuse qui se touche négligemment la chatte en recevant ses instructions. Tout cela, bien entendu, sur fond de prélude de Parsifal, ce qui  ne gâte rien. Il arrivera d'autres aventures du même tonneau - loufoque - à notre sympathique héros (Tom Gutt, qui ressemble ici à s'y méprendre à l'Anthony Perkins de Psychose). 
Il en fallait, justement, des Gutts, en 1960, pour montrer ce genre de choses. Il en faudrait davantage aujourd'hui que la police de la pensée religieuse se voit désormais sous-traitée, par des crapauds de bénitier monothéistes par ailleurs toujours actifs, auprès des flics gauchistes du NPA et autres soi-disant Indigènes de la République pourfendeurs d'athéisme.
Bien sûr, il est possible de voir l'Imitation du Cinéma ailleurs, de le visionner, par exemple, tout seul comme un con sur Youtioube. Mais pourquoi ne pas se rendre, en compagnie d'autres cons, jusqu'à notre Centre d'Art bruxellois, où vous pourrez admirer, pauvres hères et héresses, en sus de Gutt et Mariën, moult phénomènes annexes (100, pour être précis) ici rassemblés - à l'instigation de quelque vedette culturelle dont nous nous fichons bien - comme expression parfaite (dixit, en substance, le prospectus) de l'âme belge contemporaine ? Pourquoi se refuser de revoir ainsi quelques jolis crimes pâtissiers perpétrés par Noël Godin, diverses oeuvres et contributions de Christian Dotremont, Rops, Spilliaert, Masereel, Charlier, Hugo Claus, Michaux, Horta, Maeterlinck ou Patrick van Caeckenbergh ?
Ne laissez point passer l'occase. 
On est peu de chose, vous savez ! 
Même si, selon l'expression, ici opportunément rappelée, de l'étonnant faussaire Geert Van Bruaene : certes, nous ne sommes pas assez rien du tout.


lundi 23 septembre 2013

Riche Belgique (4) : Comme à Ostende

Brise d'Ostende (1900).

Ostende est une métropole regorgeant littéralement de curiosités, à caractère esthétique autant que géostratégique, parmi lesquelles il convient de citer : 1°) un centre-ville traditionnel d’où jaillit, comme partout en Flandre, l’inquiétant beffroi de rigueur, surplombant sa grand-place de demeures bourgeoises finement ouvragées, 2°) un parc Léopold, poumon vert d’une cité certes tournée, avant tout, vers les nuances grisâtres enluminées de cette mer du Nord dépressive que nous chérissons tant, sans oublier, bien entendu (faisant exactement face au bassin du mythique Mercator ayant jadis ramené du bout de l'océan, entre autres trésors, la dépouille du père Damien, béatifié par Jean-Paul II en 1995),  3°) la clandestine et mondialement célèbre base sous-marine d’attaque qu’entretient ici à grand frais depuis près de deux siècles le marquis de l’Orée, à laquelle les touristes émerveillés pourront accéder tous les jours (sauf le jeudi) de 15 heures à 15 heures 17, via une crypte éminemment profonde de la basilique Pierre-et-Paul. 
Les jours de fin de semaine, quand le temps est clément, on se baguenaude en foule le long d'immenses plages bordant la ville, on y joue dans le sable, crie, nage, s’amuse, et circule, pourquoi pas ! en voitures collectives (à pédales) sur un front de mer longeant d'étranges Galeries royales, l’esprit imbibé de nostalgie et de vapeurs de bière tripel. Les villas 1900, il est vrai ! ne sont désormais qu'un lointain souvenir, emportées au plus noir du temps par les mânes d'obscurs philistins qui les habitèrent et, tout cochons simples qu'ils aient été à leur époque bénie, riants et paillards ou catholiques tordus, n'eussent également pu se représenter combien il serait possible après eux de vivre encore plus mal, tellement plus vulgairement et laidement. Les promoteurs immobiliers ayant ici balafré Ostende l'auront assez démontré universellement. Mais nous voilà devant le grand Casino de la ville, imposant et sinistre café-restaurant-discothèque chic, jouissant d’une vue exceptionnelle sur le large, et recevant exclusivement, au plan artistique, des chanteurs morts, ou bien, à la rigueur, francophones (Carla Bruni y est attendue au mois de novembre). Ce nid de rupins mis à part et la Villa Maritza, l'autre rendez-vous de la Haute (pour lui purement gastronomique) n'ayant toujours pas réouvert, bien que sa splendide façade Art Nouveau (l'une des dernières de la promenade) soit toujours visible et admirable par tous, l’ambiance à Oostende aan Zee, le week-end, est souvent nettement populaire, voire prolétarienne. Les prolétaires, en l'occurrence, sont belges (parfois même carrément liégeois) ou français. Les Allemands, et surtout les Anglais, autrefois hools avinés en goguette scandaleuse, depuis les ports consanguins de leurs contrées chômeuses, échouent désormais davantage céans depuis les bourgs luxueux (De Haan, notamment, et ses merveilleuses langues de dunes) situés plus au nord de la Côte, le long de la ligne de tramway reliant La Panne à Knocke-Le-Zout (l'horrible). C'est ainsi qu'entre la gare d'Ostende et les premières vastes étendues de sable de la Zeeheldenplein, flanquée de sa fameuse statue cambrée à la Querelle de Brest, on remonte souvent le Visserkaai - son marché aux poissons, ses échoppes de crevettes et de roll-mops - parmi l'environnement enthousiaste de familles lilloises sans le sou, fraîchement débarquées en train par Courtrai (quinze euros le ticket), et dont le contentement pour ainsi dire familièrement dépaysé, déjà réel quoique empressé de grandir toujours plus (là-bas ! sur les plages ! au commencement bientôt entre-aperçu de la grande promenade Albert 1er) rencontre aussi le nôtre, à moins qu'il ne le suscite purement et simplement. C'est ici, en tout cas, que fond sur nous, immanquablement au gré des années, la même combinaison sentimentale d'euphorie et de mélancolie sévère requise pour apprécier les lieux. 
Les choses, au fond, n'ont guère changé depuis qu'Ensor peignait, voilà un siècle, ses gigantesques orgies balnéaires de masse, éclatantes, cependant que Spilliaert, son compatriote, choisissait, lui, d'enfermer cette même atmosphère dans un chromatisme de gris et noirs de fin du monde, de suspension du temps désignant la ville. Ensor puisait, dans Ostende, de la force et de la révolte, trouvant, dans les physionomies trognesques peuplant l'endroit, l'incarnation idéale du mensonge social (du masque) autant que la vigueur matérielle - coloriste - susceptible de le moquer et de le congédier, comme Rabelais, au terme de quelque énorme farce, sanctionnée par un rire dément, anarchisant, communicatif. Ensor, tout individualiste et désespéré qu'il fût, lia toujours son sort personnel à celui d'une certaine cohérence, d'un certain mouvement esthétique collectif (Les XX, La Libre Esthétique...). Chez Spilliaert, c'est avant tout le sentiment d'échec solitaire, d'impossibilité subjective de réussir qui importe et domine. De fait, malgré sa participation formelle à divers groupes en vue (et quelques succès d'exposition), malgré le soutien d'Edmond Deman, libraire bruxellois influent qui remua ciel et terre pour le faire connaître, ou l'amitié de Verhaeren, dont il se rapprocha en France grâce au précédent, rien pour lui ne bougea jamais. Jamais l'écho, favorable pourtant, que sa manière stupéfiante rencontre encore de nos jours n'installa autre chose, en sa faveur, qu'une sorte de gêne inquiète, d'ennui coupable, de crainte diffuse. Spilliaert, invariablement, aura rebuté l'acheteur, comme tout ce qui dégage une trop insistante et envahissante odeur de mort. De sorte que le sentiment d'étrangeté, irréductible, tourna vite chez notre malheureux artiste à l'angoisse de ne pouvoir exister, de ne pouvoir rien devenir, de ne pouvoir même physiquement fuir cet état d'impuissance radicale, lequel finit par se confondre à ses yeux avec Ostende elle-même. Toutes les tentatives, tous les projets caressés par Spilliaert en vue de s'évader de cette ville, d'une manière ou d'une autre : en devenant marin, explorateur colonial ou artiste à Paris se brisèrent ainsi sur la réalité triviale de sa mauvaise santé, de son repliement sur soi mutique, de sa faiblesse congénitale. Fils d'un parfumeur boute-en-train et d'une mère bigote renfermée, Spilliaert aura en effet hérité - de cette monstrueuse alliance - la sensibilité fine de qui se sait toujours parfaitement condamné par la tyrannique médiocrité ambiante. Ensor, qu'il poursuivait de son admiration assidue (au point, paraît-il, de faire le siège régulier de son logement, distant du sien de quelques rues, après les nuits d'errance dont Spilliaert était coutumier le long des boulevards glacés, et sur la digue, face à la mer) ne l'aimait point. Permeke non plus, à ce qu'il paraît, dont une légende raconte qu'il aurait même mis en pièces, avec rage, son propre portrait que l'autre lui aurait offert. Sans doute Spilliaert l'énervait-il, à force de lui coller le bourdon. Pensez ! Un bourgeois comme lui, et qui plus est même pas mystique. Athée. Livresque. Nietzschéen. Un pauvre petit-bourgeois se campant devant lui, et puis devant eux tous, les artistes, comme une sorte d'infini reproche qu'on leur aurait lancé, gémissant et incompréhensible. Ne crevant point de faim, ce type, et pourtant tellement malheureux de s'estimer, comme cela, coincé et emprisonné. Tourné et retourné sans repos, dans le vent houspilleur d'Ostende. Et Spilliaert, toute sa vie, resta seul. Il offrit, au cours de son existence, ce spectacle pénible de l'homme incarcéré au fond d'un sort social. Le bouquet, si l'on osait ce terme, c'est qu'à la longue, cet homme, cet artiste nécessaire autant qu'impossible se trouva peu à peu touché et gagné, les années passant - très lentement - par une vague forme de contentement, et même, tenez-vous bien ! de bonheur proprement conjugal. Il s'éloigna résolument, alors, de tous ses noirs, et de ses gris, et de ses sombres paysages de Mer du Nord noyée dans l'attente mystérieuse, qui font son premier intérêt sordide. Il choisit la couleur, l'espoir. Il choisit la vie. Et dans ce choix ultime-là, enfin, il perdit absolument tout. Fin de la belle histoire de Léon Spilliaert (1881-1946).
 
La Rafale (1904).
« Quant au jeune dessinateur Spilliaert, il expose des choses impressionnantes et comme hallucinées : femmes de plaisir aux mines hagardes, intoxiquées d'absinthe et d'amour, rampe à peine éclairée donnant sur la mer infinie, grands cierges se consumant dans un édifice mystérieux.»
(Emma Lambotte, Le Méphisto, journal anversois du 13/08/1908). 

Autoportrait au miroir (1908).
« Jusqu'à présent, ma vie s'est passée, seule et triste, avec un immense froid autour de moi.» 
(Lettre de Spilliaert à Jean De Mot, 6 février 1909).

***

Il ne faut pas trop se fier à ce que vous lirez ces jours-ci sur le site internet du Musée des Beaux-Arts d'Ostende (MuZEE) : du fonds Spilliaert dont l'établissement est dépositaire, peu d'oeuvres sont en réalité actuellement exposées. Reconnaissons néanmoins qu'elles comptent parmi les plus saisissantes, telles le duo présenté ci-dessus, ainsi que le célèbre Vertige, La coupe bleue ou encore l'autre Autoportrait (sans miroir) de 1908.
 
Le Musée des Beaux-Arts propose également, jusqu'au 17 novembre prochain, une rétrospective pas dénuée d'intérêt intitulée L'alphabet d'étoiles d'E.L.T Mesens (1903-1971), consacrée à cette cheville ouvrière relativement méconnue du surréalisme en Belgique (et ailleurs), galeriste, collectionneur, musicien, poète, collagiste, ami de Satie, Breton, Tzara et de tant d'autres. Certes, la vie des galeristes et mécènes ne nous passionne guère en général. Et il faut bien avouer que certains aspects un tantinet épiciers de l'existence de ce Mesens ici développés en long, en large et en travers, n'échappent pas à la règle. Une tendance, très actuelle, à la réécriture systématique de l'histoire des avant-gardes européennes à l'aune du pouvoir de l'argent de bon goût, du choix judicieux de capitaines d'industrie éclairés, bref de l'établissement artistique aux commandes spirituelles, tend désormais à évacuer, à Ostende et partout, ce qui, partout, fonda l'intérêt proprement politique et subversif des mouvements en question (nous en parlions d'ailleurs récemment ici même à propos de Tamara de Lempicka). Tout se trouve souvent présenté comme si, au fond, sans l'intervention des riches sponsors en question, à célébrer jusqu'à plus soif : véritables héros chevaleresques pieusement désireux de promouvoir sans contrepartie la modernité de leur époque, une telle modernité n'eût pu jaillir du néant, et se faire connaître de l'Univers de par sa seule légitimité historique. Le catalogue de l'exposition Mesens nous explique, par exemple, au sujet de la rencontre entre le dénommé Mesens et Paul-Gustave Van Hecke, publiciste influent en compagnie duquel le premier ouvrira bientôt une galerie, avant de se lancer dans une foultitude d'activités industrieuses artistiques, que : « Mesens trouve en Van Hecke - "Tatave" pour les intimes - un alter ego. Leurs points communs : l'esprit d'entreprise, le cosmopolitisme, le dandysme, le rejet de la discipline et le flair artistique. » Variante finale, dans les couloirs du musée : «... le dandysme, le rejet de la discipline et ont tous deux le nez fin en matière d'art. »
Grand bien leur fasse. Il s'agit donc toujours d'une question d'odeur. 
Le gentil commissaire d'exposition pédagogique évacue d'ailleurs là-dessus, un peu plus loin, sans scrupules excessifs, le fait que Mesens ait choisi de publier dans son London Bulletin (seule revue britannique alors consacrée au surréalisme), en 1938, le Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant, de Breton, Rivera et Trotski. Les sinuosités entreprenariales suivies par tel ou tel, faut dire ! sont autrement motivantes, et passionnantes, que les palabres théoriques susceptibles de plomber l'ambiance.
Reste que l'occasion nous est là offerte d'apprendre des choses (parfois) intéressantes sur le surréalisme en Angleterre (Mesens ayant dirigé à Londres la galerie-tête de pont de ce mouvement dans la perfide Albion, du mitan des années 30 au début des années 50, la question restant, une fois de plus, de comprendre pourquoi le surréalisme, hors le feu de paille de ce type de projet commercial, n'y rencontra point davantage de succès) ou en Belgique (le recensement érudit des rencontres, et des revues auxquelles collabora le touche-à-tout Mesens pourra séduire les spécialistes-archéologues). Certaines créations, disséminées, reconnaissons-le, valent franchement le détour : Le noeud, entre autres, oeuvre fort étrange et charmante de Rachel Baes (figurant une petite fille aux prises avec un gigantesque coquillage, derrière une grande fenêtre ouverte sur la mer, et la nuit), le Pêle-Mêle de Louis Scutenaire, plaisant amalgame (Freud, la bande à Bonnot, etc) des admirés de l'auteur, ou Court-Circuit, poème isolateur, du très précieux Marcel Mariën, mort il y a tout juste vingt ans. Le roi de la fête n'est pas en reste : E.L.T Mesens étant l'homme qui aura révélé Magritte (ma foi, il faut bien révéler quelque chose dans la vie), l'un de ses compagnons les plus anciens, divers témoignages de leur longue collaboration sont ici visibles. Tirés de la revue MaRiE, Journal bimensuel pour la belle jeunesse, organe dadaïsto-surréaliste belge fondé notamment par les deux compères, et ayant eu deux numéros, deux poings américains (1925) impressionnent, placés en vis-à-vis : le premier (Comme ils l'entendent) plat et régulier, l'autre (Comme nous l'entendons) hérissé de piques offensives. Précisons que suite à la faillite de la galerie bruxelloise Le Centaure, en 1932, Mesens racheta, pour un prix dérisoire, plus d'une centaine de toiles de Magritte afin, officiellement, que celles-ci ne se perdissent point. Elles ne se perdirent point, rassurez-vous. À telle enseigne, tout de même, qu'une certaine inimitié naquit entre eux de ce fait, Mesens étant devenu là le propriétaire d'un stock dont la valeur marchande ne cesserait de grimper, Magritte en prenant ombrage. La brouille irréparable n'interviendra cependant qu'à la fin des années 1950, tandis que le very successful Mesens continuera d'organiser au casino de Knocke ou à La Réserve, l'hôtel de luxe fondé par Van Hecke, une série de rétrospectives paraît-il impressionnantes (Ernst, Picasso ou lui-même). Dernières pépites appréciables, en tous les cas, à Ostende, de Mesens, encore : un étonnant Masque servant à injurier les esthètes, un très beau Fritz Van den Berghe pas vraiment dans la manière habituelle de l'auteur : Idolen (1928-29), une scène de bordel stimulante, par De Smet  (Het goede huis, 1926) et, pour revenir au surréalisme - qui plus est anglais - The junction, de Roland Penrose (co-organisateur de la triomphale International Surrealist Exhibition de juin 1936 à Londres et gestionnaire, avec Mesens, de la très orthodoxe London Gallery), évoquant furieusement certaine scène de La petite boutique des horreurs. Mais c'est incontestablement le travail de Paul Nougé, sa subversion des images, qui nous fit le plus d'effet. Il consiste en une suite (photographiée) d'exercices imposés sur les objets les plus usuels, les plus anodins du monde, afin de les rendre étrangers, et inquiétants, précisément à force qu'on les fréquente. Une action déterminée est exercée sur un objet, ou une certaine attention, exorbitante, se voit spectaculairement concentrée sur lui, par des humains, et l'on photographie la scène. Puis, l'on supprime l'objet, qu'on le remplace ou non par un autre, et l'on photographie à nouveau, en observant l'effet psychologique du procédé : deux hommes trinquent à présent sans verre ni bouteille, des individus semblent captivés, ensemble, par un néant complet qui se trouvait être, voilà une minute, un mur, etc. On peut aussi détourner de sa fonction inoffensive une simple ficelle, par exemple, et la soumettre à une femme à qui cet objet inspire, en apparence, une visible terreur, l'exercice consistant ici à étudier en nous la palette de réactions possibles à la terreur de cette femme, depuis la sympathie compréhensive jusqu'à la moquerie incrédule et impitoyable. Tout cela est extrêmement classique, et néanmoins d'une irrésistible drôlerie.
Entre deux hoquets, justement, ce jour-là, ayant jeté un coup d'oeil rapide à notre montre, nous décidâmes que c'en était trop. 
Trop de joie, trop de gaieté. Il fallait faire quelque chose. 
Il nous restait dix minutes.
Nous retournâmes donc voir une dernière fois, à l'autre étage, la poignée de toiles de notre cher Léon Spilliaert, histoire de sortir triste, ainsi qu'il convînt, du Musée des Beaux-Arts d'Ostende. 
Sur le chemin, dans l'escalier, nous parvinrent alors de l'extérieur, depuis la longue artère Alfons Pieterslaan, toute proche, les premières rumeurs triviales - fonflonnantes -  de quelque harmonie municipale de concours. L'intensité des cris de la foule, des zim-boum-bam de grosses caisses, la puissance des coups de sifflets et des applaudissements grossirent, progressivement, jusqu'à atteindre leur plénitude au moment même où nous fixions derechef - désormais complètement désemparés - nos regards sur les douloureuses visions solitaires de l'inénarrable incompris d'Ostende. Et ces créatures, ces objets abandonnés semblaient, eux aussi, du même coup, nous prendre à témoin, une dernière fois. Ta-taratata-taratata-taratata ! fit soudain la fanfare. Bravo ! hurla quelqu'un. 
Alors, nous mîmes les voiles. 
Mais en partant, une dernière chose attira notre attention, une dernière série de toiles, demeurées jusqu'ici inaperçues. Il était là. L'autoportrait au chapeau fleuri. Dans un recoin, juste attenant au domaine - réduit - de ce pauvre Léon. 
Et il ricanait, en ce jour de grande braderie, à Ostende, en face de son infortuné concitoyen. 
Une dernière fois, sous nos yeux désolés, le baron Ensor choisit de se foutre bien correctement de sa gueule.

                     

jeudi 19 septembre 2013

Tendance


Cet automne 2013, halte à la morosité ! 
Le beau gosse du moment ne se prend pas la teuté.
Pourvu qu'il puisse juste se montrer en

 

voire même en 


attraper vite fait son sac
 
et se parfumer d'un bon coup de
 
tout en enfilant ses lunettes

avant de remettre un peu de
 
dans le réservoir de son

pour filer au concert de



SEXION D'ASSAUT







Boulicia klebs

 « Et mes pensées, comme toujours, font des bonds elliptiques. Je me surprends à penser : on n’a pas le droit de faire ça à un chien… » 
(Romain Gary).


 ***

On en place une pour Jean-Luc A., qui nous a quittés le 14 septembre dernier, après un dur combat.
Rest in peace, tonton.
Et t’inquiète.
On arrive.

dimanche 15 septembre 2013

Parti de la Jeunesse

« Ces personnes étaient si belles, leurs traits si gracieux, et l’éclat de leur âme transparaissait si vivement à travers leurs formes délicates, qu’elles inspiraient toutes une sorte d’amour sans préférence et sans désir, résumant tous les enivrements des passions vagues de la jeunesse. »

Gérard de Nerval, Aurélia.


jeudi 12 septembre 2013

Lohengrin


« C’est au commencement une large nappe dormante de mélodie, un éther vaporeux qui s’étend, pour que le tableau sacré s’y dessine à nos yeux profanes ; effet exclusivement convié aux violons, divisés en huit pupitres différents, qui, après plusieurs mesures de sons harmoniques, continuent dans les plus hautes notes de leurs registres. Le motif est ensuite repris par les instruments à vent les plus doux ; les cors et les bassons, en s’y joignant, préparent l’entrée des trompettes et des trombones, qui répètent la mélodie pour la quatrième fois, avec un éclat éblouissant de coloris, comme si dans cet instant unique l’édifice saint avait brillé devant nos regards aveuglés, dans toute sa magnificence lumineuse et radiante. Mais le vif étincellement, amené par degrés à cette intensité de rayonnement solaire, s’éteint avec rapidité, comme une lueur céleste. La transparente vapeur des nuées se referme, la vision disparaît peu à peu dans le même encens diapré au milieu duquel elle est apparue, et le morceau se termine par les premières six mesures, devenues plus éthérées encore. »

Le texte ci-dessus, extrait d’un commentaire de Franz Liszt au Prélude de Lohengrin fit sur Baudelaire une impression notable. Dans son Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, le poète insiste, en le citant longuement (les italiques étant par ailleurs de son fait) sur la jouissance particulière – synesthésique – dans laquelle ce morceau l’aura lui-même plongé. Et après y avoir, de fait, reconnu une coïncidence parfaite avec ses propres conceptions, en rappelant les deux premiers quatrains de ses Correspondances (« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »), Baudelaire évoque le surgissement primitif, puis les aventures diverses causées en son âme par le fameux Prélude, parlant là « de l’extraordinaire volupté qui circule dans les lieux hauts », ici d’« un immense horizon », ailleurs d’une « large lumière diffuse », de la « sensation d’une clarté plus vive, d’une intensité de lumière croissant avec une telle rapidité, que les nuances fournies par le dictionnaire ne suffiraient pas à exprimer ce surcroît toujours renaissant d’ardeur et de blancheur, etc »…

Pour nous, ce morceau fut toujours celui du soleil qui s’avance, au matin, en quelque endroit calme et retiré, infiniment tranquille, infiniment irisé, mais se renforçant peu à peu et finissant par tout envelopper de sa gangue chaude, bientôt brûlante. Un orgasme de soleil, en quelque sorte, montant par nappes épaisses, s’établissant par degrés et volumes toujours reconquis, tout lointains et évanescents qu’ils soient, à force – paradoxale – de discrétion, c’est-à-dire de puissance absolue. Autant reconnaître que cette colorisation psychologique wagnérienne incontestable serait davantage à nos yeux celle du rouge, de l’orangé, du doré, en tous cas celle de la chaude brillance et de ses intensités conquérantes, impériales. Liszt nemploie-t-il pas l expression de « rayonnement solaire » ? Pourtant, la tonalité de Lohengrin dans son ensemble, à en croire certains spécialistes autorisés, devrait plutôt être associée, sans lombre dun doute chromatique, au « bleu argent ». Telle était, par exemple, l’opinion de Thomas Mann que Martin Gregor-Dellin reprend à son compte dans sa célèbre - et excellente - biographie (Wagner).
Bref, chacun son chant des voyelles.
Voilà pourquoi, à vous lectrices, Lecter, Hannibal, et tous les autres, Le Moine Bleu (acier), outre le Prélude de Lohengrin lui-même, offre céans, l’accompagnant, deux illustrations d’absolument égales qualité et pertinence : le Soleil levant de Giuseppe Pellizza da Volpedo, d’abord, et puis ensuite (ci-dessous) une sublime coquille bleu-argent de l’excellente maison Divshare, coquille au moyen de laquelle, lectrice, lecteur,  etc, tu pourras à ton tour jouir de cette œuvre immortelle.
En sorte que chacun, de cette façon, pourra sereinement établir vers où tendent ses préférences profondes.
Et qui a dit que nous étions de mauvaise foi ? 
 


 Note du 12 mai 2015 : La coquille ci-dessus ne fonctionnant guère, qu'à cela ne tienne. On se rabattra, pour écouter le Prélude suprême, sur la vidéo ci-dessous.

                     

mardi 10 septembre 2013

L'Art martial du Futur (2) : Lien Social-jutsu

 

Les leçons de la fois dernière n’ayant pas été suivies comme nous l’entendions par la poignée la plus indisciplinée de nos jeunes disciples, nous réempoignons inlassablement notre bâton de pèlerin.

Répétons-le encore et encore : l’efficacité seule n’est rien. La perfection technique, sans conscience claire, ne serait que ruine de l'âme. Il s’agit en effet de changer l’homme lui-même  dans son rapport quotidien aux autres, et à son environnement.

Voilà pourquoi nous vous proposons aujourd’hui cette (trop) courte initiation, en images, au véritable art martial de demain : le Lien Social-do (ou : « Lien Social-jutsu », pour les puristes par ailleurs en quête d’émotions fortes). 

Veuillez donc, s’il vous plaît, nous consacrer à présent toute votre attention.


TORI rencontre avec UKE des problèmes relationnels importants, contrariant le plein épanouissement citoyen de chacun. TORI décide pour cette raison, après accord de son analyste et du médiateur social le plus proche, d’entamer avec UKE un dialogue constructif, qui remettra tout à plat (fig. 1).


UKE ayant d’entrée de jeu refusé le débat participatif que lui proposait TORI, ce dernier choisit malgré tout - de manière volontaire - d’entamer le dialogue. Il expose à UKE les griefs nourris à son égard, liés notamment au non triage systématique de ses ordures ménagères que UKE accumule pourtant comme tout un chacun (soit, aujourd’hui, près d’un kilogramme deux cents par individu et par jour). TORI s’empresse, sitôt passée la phase aiguë des récriminations orales, d’expliquer à UKE les avantages pratiques du sac-poubelle hermétiquement fermé, ne laissant échapper ni déchets ni odeurs (fig. 2).


                                                                        Fig. 2

Laisser chaque citoyen découvrir par lui-même les vertus faisant la réussite du vivre-ensemble solidaire, voilà ce qui meut TORI (qui a lu Rousseau, et pratiqué la pédagogie dans sa jeunesse). C’est ainsi qu’une promenade collective bien menée, et rythmée par une saine discussion à bâtons rompus (fig. 3), permet souvent de parfaitement vider son sac (ce qui était, rappelons-le, l’objectif pragmatique initial de TORI concernant  UKE : voir la figure précédente).

                                                                                                                                          Fig 3

Le contact et la communication se trouvent à présent complètement rétablis. Le lien social est resserré. UKE et TORI sont prêts pour un nouveau départ. Leurs relations futures s’annoncent placées sous le signe de la stricte égalité des chances, et de la sécurité entendue comme premier des droits de l’homme. La simple intervention citoyenne de TORI aura ainsi suffi à mettre rapidement fin à une pénible situation de relations purement verticales (fig. 4). Puisse cet exemple pratique et efficace apaiser les tensions qui se développent chaque jour un peu plus au sein de nos grandes cités déshumanisées. Souvenons-nous, qui plus est, quen période de crise et déconomie, un débat citoyen, c’est un procès de moins !
 

                                                                                       Fig. 4

mercredi 4 septembre 2013

mardi 3 septembre 2013

Comment gagner la guerre froide avec élégance (première leçon)


NB - Le Moine Bleu rappelle ici à la fraction la moins éduquée - et conséquemment, hélas ! la moins bilingue - de son aimable lectorat quune excellente version française du texte ci-dessus se trouve disponible, en permanence, dans le moindre article émis chaque jour par toute la presse du pays des lumières (Libération, Le Point, LHumanité, etc) dans une traduction - régulièrement réactualisée - de MM. Pierre Gattaz et Michel Sapin (toujours en pointe).

lundi 2 septembre 2013

Savane (pour homme)

  
« Les relations hiérarchiques parmi les babouins sont, comme chez les chimpanzés, de type linéaire. Les babouins savent à qui ils s’adressent ! Les moins forts cèdent la place devant les chefs et exécutent certaines mimiques manifestant leur soumission, comme présenter leur postérieur, tandis que les dominants font des gestes de menace, comme relever les sourcils en regardant fixement l’inférieur. Cela dit, il suffit que plusieurs subordonnés se regroupent contre un chef pour que celui-ci soit à son tour amené momentanément à s’effacer. » 

Gérard Vienne, Le peuple singe.


 





 

Le banquier idéal

 

Notre grand concours s’ouvre désormais - avec euphorie - aux scientifiques de toutes disciplines ! 

Sur cette contribution de M. Tourgueunieffe (de Quimper), on distingue, en effet, le dernier détail capturé au microscope électronique et nucléaire d’une scène tout à fait pittoresque, quoique amibienne : le moment précis où notre sympathique trader national, M. Jérôme Kerviel, s’apprête à donner naissance, par scissiparité parthénogénétique, à quatre nouveaux membres de la Société de Conseil qu’il entend bientôt mettre sur pied. La définition est proprement prodigieuse, au point qu’on aperçoit parfaitement, dans la partie supérieure de l’image, grossi au 1/1000000ème, M. Jean-Luc Mélenchon, toujours à l’affût d’une bonne cause et prodiguant à M. Kerviel, comme en tant d’autres occasions, les trésors mirifiques de sa bienveillance éclairée.
Nos félicitations, Jérôme !

Big up à François Hollande (et à Serge Lama) !