vendredi 16 mars 2012

Hommage aux grands Lieder (1) : à Sylvie, fille du feu



En juillet 1826, Schubert compose la musique du Lied An Silvia ("À Sylvie"), dont son ami Eduard von Bauernfeld (librettiste attendu de deux opéras auxquels Schubert travailla quelque temps, mais ces projets n'eurent pas de suite) écrit les paroles, à partir de sa propre traduction (parfois douteuse, comme on peut s'en rendre compte ci-dessous) d'une chanson de Shakespeare tirée de sa pièce Les deux gentilshommes de Vérone. An Silvia ne sera publié qu'après la mort de Schubert. Pour Dietrich Fischer-Dieskau, s'il " est étrange que l'on ait voulu (...) habiller d'autres paroles, correspondant mieux à la musique, la chanson (...) traduite, plutôt mal que bien, par Bauernfeld (...), par bonheur, le texte allemand assez raboteux ne nuisit pas véritablement à ce Lied enchanteur, sans prétention, et qui donne l'impression d'être improvisé. Il tire son effet du charme établi entre le contraste entre un legato très lyrique et le pizzicato de l'accompagnement. " (in Les Lieder de Schubert, Robert Laffont, 1979). Autrement dit, le caractère haletant, saccadé et heurté du martèlement instrumental soulignerait avec bonheur (pour nous ici, plus précisément : ironie et tristesse) un certain déroulement plus progressif (plus lié) de la voix, introduisant un élément de paresse et de lascivité. La torture - aigüe - d'un picotement de flammes d'un côté, un sentiment de chaleur, de l'autre, progressant plus lentement - quoique sûrement - dans l'âme. 

Texte allemand (Bauernfeld) : Was ist Sylvia, saget an, das sie die weite Flur preist ? Schön und zart sech' ich sie nanh'n, auf Himmels Gunts und Spur weis't, dass ihr alles unterthan. Ist sie schön, und gut dazu ? Reiz labt wie milde Kindheit; Ihrem Aug' eilt Amor zu, dort heilt er seine Bleindheit, und verweilt in süsser Ruh' Darum Sylvia, tön, O Sang der olden Sylvia Ehren ; Jeden Reiz besiegt sie lang, den Erde kann gewähren, Kräanze ihr und Saiten klang. 

Traduction française du texte allemand (Michel Chasteau) :  Qui est Sylvie, dites-le moi, que toute la nature chante ? Belle et d'un pas léger je la vois qui s'approche, et, témoins des faveurs dont le ciel la combla, tous à ses désirs sont soumis. Est-elle aussi bonne que belle ? Elle a la grâce exquise et tendre de l'enfance, Amour vers ses beaux yeux se hâte pour y guérir de son aveuglement, et s'abandonne à un repos suave. Alors chantons Sylvie la belle, chantons en l'honneur de Sylvie, car elle surpasse en beauté tout ce qui se peut voir sur la Terre : tressons-lui des couronnes et accordons nos luths ! 

Texte originel anglais de Shakespeare (Les deux gentilshommes de Vérone) : Who is Silvia ? what is she, that all our swains commend her? Holy, fair, and wise is she; The heaven such grace did lend her, that she might admired be. Is she kind as she is fair ? For beauty lives with kindness. Love doth to her eyes repair, to help him of his blindness, and, being helped, inhabits there. Then to Silvia let us sing, that Silvia is excelling ; She excels each mortal thing upon the dull earth dwelling: To her let us garlands bring !
    
Traduction française de Shakespeare (François-Victor Hugo) Quelle est cette Sylvie ? Qu'est-elle, que tous nos pâtres la vantent ? Sainte, belle et sage, elle l'est ! Le ciel lui prêta toutes les grâces, qui pouvaient la faire admirer. Est-elle aussi bonne que belle ? Oui, car la beauté vit de bonté. L'amour cherche, dans ses yeux, le remède à son aveuglement et, l'y trouvant, il s'y installe. Chantons donc, à Sylvie, que Sylvie est parfaite ; Elle surpasse tout être mortel,  habitant cette triste terre. Apportons-lui nos couronnes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire