mardi 31 janvier 2012

Marcel Hanoun is watching you !

                                                  
                 



Ce jeudi 2 février, pour les curieux, aura lieu la toute-première projection du nouvel opus de Francesca Solari : LEntrefilm, consacré à la vie et loeuvre - très importante quoique quasi-inconnue en France - de Marcel Hanoun, artiste rare, étrange, inclassable («cinéaste maudit par excellence, marginalisé à la fois par lindustrie et par la critique» (Marcel Martin, Dictionnaire Larousse du Cinéma), célébré par Jonas Mekas, entre autres, et auteur notamment de LAuthentique Procès de Carl Emmanuel Jung (1966) ou, plus près de nous, de L’Étonnement (2004).

Rendez-vous, donc, ce jeudi, à 20h (au programme de la soirée : trois films, la projection de celui consacré à Marcel Hanoun étant prévue autour de 20h45) à lEntrepôt - 7, rue Francis de Préssensé, Paris, métro Pernety.

Séance de rattrapage à la Cinémathèque (51, rue de Bercy - métro Bercy) le vendredi 25 mai 2012 à 19h30.

Le Moine Bleu sera sûrement là, dans lombre, à guetter vos réactions ébahies...

En attendant, plus de renseignements sur Marcel Hanoun ICI !

Zadig, Voltaire, Baudelaire, Lefebvre...


« Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes. » 

Baudelaire, Un hémisphère dans une chevelure.





lundi 30 janvier 2012

Longue vie aux sauvages !


« La Science aura beau m’expliquer à sa façon les lois de tel phénomène, je veux continuer à ne voir, moi, dans ce phénomène, que ce qui peut M’AUGMENTER l’âme et non ce qui peut l’amoindrir. Si les mystiques s’illusionnent, qu’est-ce qu’un Univers inférieur même à leur pensée ? »
Villiers de l'Isle-Adam, Tribulat Bonhomet.









Comme la lune...





« En dehors des chauves, il n’y a aucun être qui soit semblable aux dieux. Comme il est juste qu’il en soit ainsi, il n’en va pas autrement, et on peut entendre des gens qui, recourant à un diminutif, appellent ouvertement les chauves « petites lunes. » Pour un peu, j’oubliais l’essentiel : les chauves et la lune passent par les mêmes phases, désignées par les mêmes mots. En effet, le cher astre commence en forme de croissant, puis c’est un demi-disque, et, au terme de sa croissance, c’est une lune pleine. Les plus chanceux, je veux dire les pleines lunes, il serait même légitime de les appeler « soleils » : ils ne subissent plus de phases et conservent la forme d’une sphère parfaite qui rivalise d’éclat avec les sphères célestes. »

Synésios de Cyrène, Éloge de la calvitie.

Another brick in the pôle !

« Le caractère de la vraie hauteur est d’être toujours à sa place »

Vauvenargues


jeudi 26 janvier 2012

Grisélidis au chtar




Mieux vaut finir prostituée que commencer prostrée. Telle est exactement la réflexion que nous nous fîmes, l’autre soir, au début de l’interprétation malencontreuse, dans un certain théâtre, du Carnet de bal d’une courtisane, de Grisélidis Réal. Nous aurons l’occasion - et le désir - de revenir sur le destin de cette extraordinaire et lumineuse putain. Nous aurons également, hélas ! en attendant, tout loisir de nous interroger sur cette malédiction, décidément spéciale, pesant sur les scènes du dix-neuvième arrondissement de Paris, et qui nous prive avec une parfaite régularité de trésors textuels dont nous nous faisions une joie d’enfant.
Le Moine Bleu avait déjà vu, avec désespoir, assassiner voilà quelque temps, dans cette même circonscription administrative, le Journal d’une femme de chambre, Célestine subissant, au Théâtre du Bouffon (c’est son nom), de la part d’une Mme Isabelle Boutonnet, la transformation de la domestique jouisseuse qu’elle est, jalouse, tout à la fois amoureuse et transie de haine de classe pour ses maîtres, bref monument d’ambiguité politique et charnelle, en une bête hystérique au charme annulé, par décret. Un texte semble parfois ne pas suffire à ceux ou celles qui le transportent sur les planches. Les gens, pensent ces transporteurs, veulent plus que le texte. Il leur sera donc donné plus, cest-à-dire autre chose.
Cette fois, Mme Ramondou Clotilde, pourvue pourtant d’une voix magnifique et disposant de l’espace idéal (la scène du théâtre Paris-Villette, élégante et vaste), s’est d’après nous entièrement méprise sur la façon adéquate de traiter ce fameux Carnet de Grisélidis, dont  c’est ici le moment de rappeler quil représente l’os littéraire par excellence. Il s’agit de la comptabilité et de la description succincte (donc cruelle) des divers clients reçus et traités par la pute-écrivain au cours d’une période donnée. La litanie est donc celle d’un gars à petite queue, grosses couilles, rencontrant des problèmes pour bander ou cracher la purée, goûtant de se faire enculer, menotter, jouissant ou non dans la bouche, etc, auquel succède un autre gars, puis un autre, et tous les suivants. Chaque description ne comprend que quelques lignes. Elle est celle, arte povera, de la misère, le tarif finalement annoncé (« 80 francs » , « 100 francs, au moins », etc) scandant celle de la pute autant que celle du malheureux ainsi renvoyé chez lui vidé, délesté, triste, parfois, quoique plus léger. Stendhal feuilletait, nous dit-on, quelques pages du Code civil avant que de se mettre à écrire. Cela, prétendait-il, épure le style. La liste des clients dressée par Grisélidis présente la même nudité rigide que le Code civil. Il eût fallu adjoindre, pour l’honorer, à sa déclamation froide et énergique un détachement, simple et violent, de gestes.
Il eût aussi, peut-être, fallu déambuler, comme font les putes lesquelles, parfois, se les caillent quand elles travaillent dehors, dans la nervosité et l’angoisse permanentes de voir débouler les flics de Guéant, prochainement ceux des féministes socialistes, promettant ces temps-ci de faire malgré elles, légalement, leur bonheur, et leur affranchissement. Il eût été meilleur de soigner, de manière outrancière, son allure, ainsi que font les putes, dont le corps est le seul outil de travail, indépendamment de leur âge, de leur fatigue, de leur désespoir. Or, les poses, parfois simiesques, arborées par Mme Ramondou en égrenant sa fatale liste (nous gardons, entre autres souvenirs douloureux, celui d’un accroupissement prolongé, certes remarquable sur le plan sportif, ou chorégraphique-contemporain) ne s’inscrivaient pas, c’est le cas de le dire, dans une telle démarche.
Surtout, il eût été préférable, quant au Carnet lui-même, de rapprocher sèchement, avec un empressement presque brutal, les tares ou faiblesses de ces clients, afin de provoquer un effet comique imparable, lequel devait, à y réfléchir quelques secondes, être sur ce coup-là estimé hors de propos, voire insultant par Mme Clotilde Ramondou et son équipe. Car, dans le cas contraire, l’effet en question, étant donné cette pure merveille de texte administratif, n’eût pas manqué de jaillir, et d’étreindre la salle avec la dernière facilité.
Las ! Ce à quoi l’on assista consista plutôt en l’éveil crypto-matinal, extrêmement glauque, dans une montée lumineuse aveuglante, d’ailleurs fort pénible (mais là encore tel devait était être le but), de spots oranges bien en plein dans ta face, d’une créature jûchée sur des talons démesurés, dont elle ne maîtrisait guère l’emploi, mais convenons qu’il est difficile, et qui répéta jusqu’à la fin, en mécanique froide et lente, cette éprouvante suite de « branle, jouit, bite, encule, soixante francs » - pourtant en puissance tellement drôle ! - avec, dans le regard, une inspiration de chef de rang envoyant les commandes, tard le soir, et alors le chef de rang veut aller se coucher, mais il doit tout de même encore un peu réfléchir à ce qu’il fait.
Voilà ce qui arriva au Carnet de Grisélidis Réal.
On nous dira, ça ne manquera pas, que telle était sa vérité, et aussi celle du métier de Grisélidis Réal. Nous pensons que, dans ces conditions, cette misère n’a aucun intérêt, nétant ni subversive ni piquante. Et nous renverrons les bourgeois de gauche à leur dépression habituelle, en leur pissant, une fois de plus, bien en face de la raie.
Bon. Du calme.
La vérité, que voici à nouveau, répétons-la, avec tact.
On peut faire un objet littéraire de tout. Les behavioristes du polar américain, parmi des milliers d’autres, l’ont assez prouvé. Ces gens (Hammet, Chandler) vénéraient des auteurs français (dont Maupassant, par exemple) étant allés, avant eux, tout aussi loin dans le mépris de la psychologie intérieure, et s’en tenant, comme eux, à des descriptions cliniques de faits, cette cruauté de simplicité faisant bien sûr également pièce à l’époque, simplement barbare. Le Carnet de Grisélidis est un os littéraire. Il ne peut être qu’infiniment drôle, quoi d’autre ? S’il ne dit pas son époque (et donc ne la moque pas : ne montre pas ce qu’elle a d’absolument, de désespérément comique, c’est-à-dire d’irrattrapable par quelque bout qu’on la prenne), s’il concerne davantage la production des sociologues, des membres (mous) du Collège de France et des féministes bourgeois abolitionnistes, s’il renvoie essentiellement à l’inévitable « absurdité de la condition humaine » et à d’autres terrifiantes fadaises laureadlériennes, et qu’on nous démontre la chose à la perfection, alors ce Carnet n’a plus aucun intérêt pour nous. 
Il nous ennuie.
Au point de nous mouvoir hors des théâtres du dix-neuvième arrondissement de Paris, pour aller nous faire branler, enculer, et jouir dans la bouche ailleurs.
Pour moins cher.


« Demain je vais écrire à mon avocat. Je crois qu’il se moque de moi. Il m’avait dit : quinze jours puis trois semaines – et toujours rien. Je n’ai même pas reçu de copie de la demande écrite qu’il m’avait dit avoir faite. Je ne sais pas ce que j’ai, je n’ai ni force, ni courage, je déteste mes peintures, la vie, tout ici me fait horreur. Peut-être ne devrais-je pas lire le Journal d’un curé de campagne, tout admirable soit-il, il me démoralise.
Cet après-midi, il y avait l’heure biblique. La soeur (qui a d’ailleurs un faible pour moi) a fait un sermon sur la prostitution – elle a tourné longtemps autour du pot avant de prononcer le mot. Plusieurs vieilles qui se trouvaient là faisaient des mouvements de leurs têtes ridées, à la petite queue-de-cheval de cheveux gris et maigres, et manifestaient leur assentiment, leur dégoût. C’était à mourir de rire si l’on songe qu’« elles » en tout cas n’auront jamais la possibilité, ni le physique, ni le courage d’être putains tout en s’indignant si grandement sur le péché des autres – elles seraient bien incapables de le commettre ! Il est alors TROP facile de juger les autres lorsqu’on est soi-même absolument réduite à la vertu par une laideur sans espoir ! Elles, avec leur corps mou et épais, pareil à un sac de farine ! Oui, la vertu est parfois la consolation et la justification de la laideur. »

Grisélidis Réal, Suis-je encore vivante ? (journal de prison), Éditions Verticales.


mardi 24 janvier 2012

Sociologie du Front de Gauche




« En avant ! Voyageurs de commerce, coursiers, agents (d’assurance). Ouvriers forgerons de la nouvelle économie. »

Affiche stalinienne catalane, 1937.

Drame


PARIS - Un policier parisien s’est suicidé, dans la nuit de samedi à dimanche, près de chez lui en Seine-et-Marne.

L’Express – 22/01/2011


vendredi 20 janvier 2012

La vie quotidienne au temps des partenaires sociaux (1)


C'est l'époque des sommets sociaux : Le Moine Bleu célèbre à sa façon le retour saisonnier de cette aimable tradition. Pédagogie, pédagogie ! Obstinée, inlassable ! Le triomphe du lien social est à ce prix. Voilà donc, ci-dessous, une petite présentation des divers acteurs et décors impliqués dans ce processus citoyen quotidien, hélas trop méconnu des foules, portant le joli nom de "dialogue social. " 










                                                                  






À l’extrême-gauche (c'est une image) et de haut en bas (idem) : Bernard Thibault (salaire de départ : 23OO euros net/mois) derrière sa C6 de fonction payée par le syndicat. Au centre, François Chérèque (avec un pote, non-identifié). Rémunération : 4500 euros nets/mois sur 13 mois, versée par le syndicat. Enfin, en bas, Jean-Claude Mailly, en pleine discussion avec des matons FO : payé 4300 euros/mois, sur 13 mois.

Le conte de fées continue. 

Où donc les Chevaliers du Travail modernes se réunissent-ils, de temps à autre, pour reprendre des forces, avant de repartir au combat pour la cause des salariés, abreuvant ceux-ci de victoires éclatantes (dont la dernière lutte contre la réforme des retraites ne constitue qu'un des derniers exemples en date, certes des plus glorieux) ?

Eh bien, entre autres sanctuaires :

Château de Bierville, à Boissy-la-Rivière dans l’Essonne (CFDT).  Sur la façade principale, une banderole " Respect " accueille courtoisement le visiteur, la question principale restant, encore et toujours, de savoir qui on doit respecter au juste.


Château de Courcelle-sur-Yvette, dans l’Essonne : propriété de la CGT, qui y forme ses cadres d'élite à toutes les techniques modernes d'appel à la reprise du travail, et dans laquelle les enfants des "Conti " de l'Oise doivent certainement avoir, n'en doutons pas, depuis toujours leurs petites habitudes : tennis, spa, cinéma, etc).
Dans la forêt de Compiègne : le château de la Brévière, un véritable refuge de princesse (FO)

Terminons sur une touche d'exotisme, pour mesurer une dernière fois la chance que nous avons de goûter jour après jour ce beau modèle social que chacun s'attachera, au-delà des différences politiques qui nous séparent, à préserver du plus fort de son âme : 
 « Ce n’est toutefois pas avant le 20èmesiècle que la corruption, dans le syndicalisme américain, se généralisera, au point de cristalliser en une science à part, permettant alors aux cadres de l’AFL de mourir en hommes riches, d’hyperphagie, après avoir, pour certains, arboré sur le tard diamants et chemises de soie, au volant de quelque puissant bolide. Leurs épouses, d’après Mother Jones, « paradaient comme des paons. » Les chefs se déplaçaient en wagon Pullman et voyageaient à l’étranger. L’un d’entre eux, quand on l’accusa naïvement d’avoir « vendu » le mouvement, déclara avec cynisme : « Bien sûr que je suis un corrompu. Chaque fois que vous entendrez dire que Frank Feeney trempe dans quelque chose, vous pourrez être certain qu’il aura pris là-dedans sa juste part. Je suis Frank Feeney. »
Il restait évidemment des leaders honnêtes dans les syndicats, aussi honnêtes qu’ils pouvaient se le permettre pour demeurer dans le système. Et d’ailleurs, même les corrompus, de temps à autre, posaient à l’intègre dans la lutte, histoire de contenter le prolo et d’impressionner le capitaliste de leur pouvoir personnel.
Le type de leader produit par le mouvement de Gompers était cet homme médiocre, d’esprit étroit, sans vision sociale et dont l’horizon mental consistait en une suite de combinaisons salaires-horaires, et surtout une débauche de combines propres à influencer les foules de travailleurs. Un type obnubilé - du coup ! - par l’étude du fonctionnement psychologique des groupes en question, dont l’incompréhension eût risqué, à tout moment, de menacer son propre poste, et qui se tenait soigneusement à l’écart de tout ce qui pût ressembler trop dangereusement à un plan général.
Bref, un gars conscient de ses propres limites et résistant par conséquent à toute avancée sociale susceptible d’élargir à l’excès les domaines d’intervention du prolétariat, et de déboucher - peut-être - sur l’avènement d’un nouveau type de leader, supérieur, par le caractère et l’intelligence. Les actions politiques autonomes des travailleurs étaient, pour cette raison, sa hantise absolue. »

Dynamite ! Un siècle de violence de classe en Amérique, par Louis Adamic (éditions Sao Maï).

















jeudi 19 janvier 2012

Émotion

C’est avec émotion que nous apprenons aujourd'hui la disparition tragique de M. Grammatopoulos, ancien président de la Chambre nationale des huissiers de justice de Grèce.



mercredi 18 janvier 2012

Le jeu des différences


Un intrus allogène s’est malicieusement glissé parmi les personnages ci-dessous. Il a vocation a être raccompagné à la frontière. Sauras-tu le reconnaître ?






















                                                                                              





À tout gagnant, le Moine Bleu offre un repas gastronomique (voir notre message : "les aventures de William Surin, dit : la lame").



















lundi 16 janvier 2012

Drame du Hessel : l'AFTAM (Coallia) expulse encore !



Jeudi prochain, 19 janvier 2012, devant le Tribunal d’Instance de Paris XXème, l’AFTAM (« Association pour la Formation des Travailleurs Africains et Malgaches ») - rebaptisée depuis peu  Coallia - demandera et, selon toute vraisemblance, les juges étant ce qu’ils sont, obtiendra l’expulsion d’un squat installé au 194, rue des Pyrénées.

Outre le simple fait de flanquer à la rue des impécunieux - exploit en soi déjà remarquable - l’AFTAM-Coallia pourra alors s’enorgueillir d’avoir mis fin à une expérience de solidarité intense développée depuis l’ouverture du lieu (fin septembre 2011) entre ses habitants et le quartier environnant. Gageons que de tels liens, tissés depuis des mois au gré de cantines populaires, de réunions publiques, ou encore de veilles juridiques destinées aux mal-logés du secteur, perdureront au-delà du forfait que s’apprête à perpétrer, tranquillement, la variété spéciale de crapule dont nous allons maintenant faire la connaissance.

Un survol, même extrêmement rapide, du site Internet de l’AFTAM-Coallia permet de comprendre aussitôt à qui nous avons affaire. L’AFTAM s’y présente en effet comme une simple et paisible association, engagée et citoyenne, pilier incontestable du Travail Social, fondée d’ailleurs, voilà quelques décennies, par l’inoxydable Stéphane Hessel, un pedigree suffisant certainement, du point des vue des tauliers de l’AFTAM, à garantir de celle-ci la parfaite moralité. Son objet initial : procurer, dans la foulée de la décolonisation, un logement et des conditions de vie décentes aux travailleurs immigrés du continent africain et de Madagascar (d’où son nom). Sa devise actuelle : « Donner les moyens de l’autonomie, meilleur chemin vers l’insertion… »

Bien. Venons-en à la réalité, laquelle finit toujours hélas ! par se venger du rêve (et quel rêve !) en le piétinant, selon le mot célèbre de Huysmans, comiquement repris, voilà quelques jours, par l’inepte M. Fillon pour les besoins pathétiques de la grande élection prochaine.

L’ « association » AFTAM est donc, en réalité, depuis septembre 2009, une simple et triviale entreprise : une Société Anonyme d’HLM, pour être plus précis, ou une « Entreprise Sociale d’Habitat » selon le terme légal entré en vigueur en 2003. C’est sous l’appellation bien plus transparente de « SA d’HLM AFTAM HABITAT » (le site de l’AFTAM se bornant invariablement à évoquer une « association sans but lucratif » munie de « valeurs fortes », etc) que la société apparaît, par exemple, dans un compte-rendu officiel du Conseil d’Arrondissement du 2 décembre 2010, consacré, entre autres choses, à la rénovation d’un des foyers de travailleurs africains les plus dramatiquement dégradés qui soient : le foyer « Mûriers » (Paris XXème), dont l’AFTAM est justement l’heureux propriétaire.

Les foyers de travailleurs immigrés, donc. Les résidences « sociales» ou « d’insertion. » Bref : le logement des pauvres. Voilà précisément de quoi vit et bouffe l’AFTAM. Tel est le marché que se partagent, en Île-de-France et ailleurs, cette poignée d’entreprises « solidaires » réputées que sont l’ADOMA (ex-SONACOTRA, connue depuis les années 70 pour sa grande tradition d’humanisme), l’AFTAM ou l’ADEF (émanation directe du patronat métallurgique).

Les divers objets, missions et compétences d’une SA d’HLM - il faut le savoir - sont rigoureusement les mêmes que celles de toute autre société investissant le champ immobilier, à ceci près que la location à des publics « en difficulté » s’y voit formellement privilégiée. De même, l’obligation spécifique qui lui est faite de « réinvestissement social » de ses bénéfices n’empêche nullement à ce type de SA le versement de dividendes à des actionnaires réunis en Conseil d’Administration, comme dans n’importe quelle autre SA.

L’AFTAM est ainsi devenue, depuis sa création en 1962, une puissance économique générant un chiffre d'affaires estimé en 2010 à près de 140 millions d’euros, employant plus de 2000 salariés et gérant un impressionnant parc d’habitat social d’urgence ou « adapté », comprenant des dizaines de milliers de logements sur tout le territoire.

C’est pour toutes ces raisons (lesquelles, évidemment, à bien réfléchir n’en forment jamais qu’une seule, toujours la même) que nos camarades du 194, rue des Pyrénées, risquent de devoir bientôt se chercher un nouvel abri.

Mais reprenons rapidement la chronologie des évènements menant à cette prochaine audience de jeudi prochain. Pour ce qui concerne les résidents de foyers de travailleurs immigrés en général, depuis 1997 leur relogement systématique en « résidence sociale » a été acté par la Région IDF sous le nom de « Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM). » Ce relogement s’effectuera - les tartuffes socialistes et « solidaires » aux affaires nous en rebattent assez les oreilles - dans des chambres modernes, individualisées, avec toilettes intégrées mais sans cuisine commune ni espace collectif de rencontres, tels qu’ils existaient jusqu’ici. Il s’agit d’en finir avec des réseaux traditionnels d’entraide économique et politique présentés dans un même élan par nos « gestionnaires solidaires » comme sources de saleté, de trafics, de désordre, bref comme une arriération à standardiser illico. Ce « relogement » se traduira donc immanquablement pour les résidents par une diminution des places disponibles dans les nouveaux foyers, ainsi que par une augmentation, parfois très importante, des loyers (ou des « redevances », selon le terme fleuri employé par la romantique AFTAM). Sur toute cette problématique, on pourra consulter un bon article point trop ancien d'Alternative Libertaire.

Or, le bâtiment du 194, rue des Pyrénées, propriété de l’AFTAM, avait précisément vocation à devenir l’une de ces splendides résidences réservées aux travailleurs immigrés, ceux en loccurence résidant actuellement au Foyer «Mûriers». C’est la raison pour laquelle la vertueuse « association » accuse aujourd’hui, la larme à l’œil, les squatteurs qui y vivent de pénaliser les pauvres, d’empêcher qu’il leur soit porté secours au plus vite. D’ailleurs, l’AFTAM, qui ne manque aucune occasion d’exprimer ses valeurs solidaires compassionnelles, a plusieurs fois signalé par l’intermédiaire de ses avocats que si elle demandait l’expulsion SANS DELAI de ces horribles squatteurs si peu concernés par le sort des immigrés sans logement, et présentés à ce titre comme la cause principale « d’un blocage de l’opération de réhabilitation qui prive de nombreux résidents de la possibilité de vivre dans un environnement rénové et décent »,  cette demande d’expulsion avait aussi pour but de protéger les occupants actuels : le bâtiment du 194, rue des Pyrénées se révélant en effet « insalubre », « dangereux », bref à abandonner immédiatement devant l’immensité du péril.

Tout cela est bel et bien.
L’examen, cependant, de la gestion par l’AFTAM du Foyer Mûriers (et plus généralement de tous les foyers semblables qu’elle possède en Île-de-France) révèle une toute autre histoire. C’est en 2006 que l’AFTAM hérite des Mûriers. Le bâtiment se trouve déjà, depuis plusieurs années, dans un état de délabrement inimaginable. Pourtant, au mépris de ce principe sanitaire « d’urgence » qui, dans le cas de nos squatteurs, lui tient décidément tant à cœur, elle ne se décide à lancer des travaux qu’au mois de juillet 2009 après des années d’inaction de ses services, en dépit des appels au secours incessants et de la mobilisation permanente de résidents affolés par l’état pitoyable du foyer où ils sont contraints de vivre… en continuant, bien sûr, à payer leur loyer, rubis sur l’ongle, à l’AFTAM

Mais décidément, la coupe est pleine. Et suite à cette décision de rénovation bien tardive, les résidents engagent presque immédiatement, en août 2009, une grève des « redevances » pour protester non seulement contre le danger sanitaire constitué par l’état du bâtiment mais également la manière dont il est question, au départ, de mener ces travaux tant attendus (en regroupant tous les habitants dans une seule aile du bâtiment, au gré de l'avancement du chantier : une solution joliment dite du « tiroir ») et enfin, surtout, leur but ultime. Car lesdits travaux de « rénovation » (on l’a vu, suite au PTFTM de 1997) vont surtout consister, partout en Ile-de-France, à réduire fortement la capacité d’accueil du foyer, ce dont les résidents estiment ne jamais avoir pu sérieusement débattre. En l’espèce, il est ainsi prévu que le foyer Mûriers perde près d’un sixième de ses lits disponibles... 

Par cette grève des loyers, donc, les résidents, versant chacun à « l’association » AFTAM un loyer mensuel de plusieurs centaines d’euros, protestent clairement contre cette solution de relogement en « résidence sociale », une conception jugée par eux complètement « anti-démocratique » (comme l’indique un tract publié par leurs soins à l’époque) et ne correspondant pas à leurs besoins. Ce que les résidents désirent, c’est tout simplement en finir avec « des conditions de dignité humaine inacceptables » : la vétusté, la dangerosité, l’absence de tout entretien ou ménage effectué sur un site de fait abandonné, depuis plus de trois ans, par les gestionnaires en charge. Ce qu’ils souhaitent, c’est remettre sur pied, pour continuer à y vivre, leur foyer qui s’écroule.

Notons bien ici que l’urgence invoquée par l’AFTAM pour expulser les squatteurs ne concerne pas le relogement immédiat des résidents du Foyer Mûriers, lesquels ont tous finalement été regroupés, en attendant la fin des travaux (prévue pour 2013), sur d’autres sites existants d’Ile-de-France. L’urgence est liée au seul choix stratégique du gestionnaire, c’est-à-dire la réduction finale de 41 places (de 281 lits disponibles à 240) de la capacité d’accueil du Foyer Mûriers après sa soi-disant « rénovation. »
La situation découlant de cette réduction drastique de la capacité d’accueil ne peut être sérieusement imputée à l’occupation actuelle du 194, rue des Pyrénées, la seule « urgence » existante, en l’espèce, étant uniquement pour l’AFTAM celle de pouvoir appliquer ses propres décisions de démolition et de construction : des décisions dont chacun peut constater qu’imposées brutalement à tous, elles ne satisfont personne…

L’affaire n’est pas isolée. La gentille AFTAM se trouve sur la sellette un peu partout ces temps-ci, ses méthodes particulières faisant souvent sa grande renommée auprès de certains milieux défavorisés. Elle s’est, par exemple, récemment illustrée par l’expulsion massive de familles entières, en Bretagne et dans le Nord notamment, où l’AFTAM, par son intervention, aura, entre autres vilenies établies, accéléré la reconduite à la frontière d’un travailleur en voie de régularisation. Des évènements dénoncés à chaque fois par les plus timorés des organismes « citoyens »….

En matière de « gestion » et d’entretien des foyers de travailleurs migrants (FTM) dont elle a la responsabilité, l’AFTAM se montre d’ordinaire d’abord distante, c’est le moins qu’on puisse dire, puis implacable. En attestent les cas multiples de conflits durs déclenchés, contre elle, par les résidents désespérés de ces établissements, auxquels l’AFTAM ne répond que par le silence, le mépris, avant l’expulsion pure et simple, à grands renforts de flics, de brutalités et de destructions massives, comme ce fut le cas au foyer David d’Angers dans le XIXème arrondissement de Paris (octobre 2009), et surtout à Épinay-sur-seine, où des travailleurs très âgés, pauvres entre les pauvres, se sont vus, au matin du jeudi 27 octobre 2011, chasser de leur taudis par les CRS, après avoir vainement demandé durant des années une amélioration de leurs conditions de logement. Dans le cas du Foyer Bisson (autre exemple édifiant), relativement proche du Foyer Mûriers et laissé de même complètement à l’abandon par l’AFTAM, face à une telle inertie certaines huiles politicardes et institutionnelles s’étaient elles-mêmes déplacées jusqu’au taudis, tel le pourtant peu suspect de gauchisme Michel CHARZAT, ancien Maire du XXème, dans le but de (paraître) soutenir les résidents et (paraître) faire pression sur l’AFTAM, afin que celle-ci se décide un jour à entreprendre des travaux sérieux. Là encore, les notions hygiéniques-solidaires « d’urgence », de « dangerosité » ou de  « nécessité » invoquées par les héritiers de M. Hessel (« Indignez-vous ! ») pour foutre dehors les occupants de la rue des Pyrénées se seront révélés d’une plasticité, et d’une souplesse, à toute épreuve. 

La vérité, bien connue, est que du logement social, juteux marché, les SA d’HLM entendent bien désormais profiter à fond, elles qui bénéficient d’exonérations fiscales suprêmement alléchantes, ainsi que de toutes sortes de facilités annexes : il a ainsi été concédé par le pouvoir socialiste parisien à l’AFTAM, dans le cas du 194, rue des Pyrénées, un bail emphytéotique d’une durée de 55 ans, contre versement d’une redevance capitalisée proprement hallucinante au vu de la surface du lot en question (un bâtiment de plusieurs étages) : 97 000 euros ! Autant dire, aux cours actuels de l’immobilier à Paname, la valeur marchande d’un chiotte ou d’un placard…

L’évolution strictement mercantile du logement social dans son ensemble est incontestable, la douce AFTAM ne faisant pas exception. Il faut bien vivre, que diable ! Certaines affaires ont tout de même un peu excité la presse, avant que celle-ci ne se rendorme du sommeil du juste, ou s’intéresse derechef au terrible drame de la dette publique européenne. Ainsi, en 2009, les pouvoirs publics (la région Ile-de-France, l’Etat) avaient laissé la société ICADE mettre en vente 32 000 logements sociaux gérés par ses soins grâce à des fonds publics.
Peut-être se souvient-on également des déclarations récentes d’un certain André Yché, président de la SA d’HLM SNI, lors d’un entretien accordé au Monde le 15 février 2011 : « Ce que j’essaie de montrer, c’est que le modèle HLM, avec ses contraintes est en décalage avec un monde où la valorisation foncière et immobilière est la règle.» Et le brave homme, les pieds sur terre, d’ajouter : « À terme, tous les groupes d’ESH devront devenir des opérateurs immobiliers globaux d’intérêt général, qui obéissent à une logique d’entreprise. »

L’AFTAM relève exactement du même type de structure juridique (ESH) que la SNI de cette époque. Elle est, elle aussi, une (grosse) entreprise, dont le caractère associatif se voit malgré tout régulièrement convoqué : bien utile pour faire face, de temps à autre, à tel ou tel imprévu mettant clairement en cause le scandale de sa « gestion » des foyers de travailleurs immigrés, et de ses divers projets immobiliers de « rénovation » de ceux-ci.

L’occupation du 194, rue des Pyrénées, par des mal-logés qu’elle compte, la semaine prochaine, jeter à la rue au beau milieu de l’hiver, fait partie de ce type d’imprévu.

À toutes celles, à tous ceux désireux de venir les soutenir ce jeudi 19 janvier à 9 h 30, nous rappelons que le Tribunal d’Instance du XXème arrondissement se trouve place Gambetta, dans les locaux de la Mairie.


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